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Sortant tout juste de la première représentation de Werther présentée à l’Auditorium de Bordeaux, le 31 janvier 2021, c’est avec un sentiment de frustration que j’en ressort. Pourquoi ? Il semble que la mayonnaise n’ait pas pris. Pourtant tous les ingrédients étaient bien aux rendez-vous, bien présents et bien chantants. En cherchant, on se rend compte que ce sentiment vient de tout un tas de petits détails à peine perceptibles mais qui mis bout à bout forment un assemblage empêchant l’émotion générale.
Pour un opéra assez intimiste, l’Auditorium n’est pas l’idéal. Pourquoi cette production n’a t-elle pas été donnée sur la scène du Grand-Théâtre, plus adaptée à ce genre d’ouvrage ? La mise en scène de Romain Gilbert véhicule tout au long de l’ouvrage beaucoup de contre-sens, d’explicatifs visuels inutiles, qui engendrent l’incompréhension et qui distraient, empêchant le spectateur de se consacrer à l’essentiel. Que le metteur en scène mette sur scène les héros Werther et Charlotte enfants, même si le procédé est vu et revu, pourquoi pas, mais il aurait dû nous donner une fiche explicative du pourquoi de leurs présences. Le temps que l’on comprenne le sens des situations pendant que le héros et son double enfant jouent ensemble, la musique et le chant passent à côté. Par ailleurs, on sait que Sophie est amoureuse de Werther, Benoit Jacquot dans sa mise en scène parisienne l’avait finement souligné grâce aussi au jeu subtil d’Anne-Catherine Gillet. Ici, c’est tellement appuyé, qu’une seconde histoire entre en ligne de compte et qui devient assez gênante. C’est d’autant plus vrai dans la scène finale pendant que Werther agonise en présence de sa bien-aimée Charlotte. Sophie arrive et assiste au délire de Werther. Ce qui distrait le public ce sont tous ces tous ces va-et-vient, ces incohérences, comme le premier acte où toutes les entrées centrales se font directement par une porte de tissu donnant sur un immense lit. Les chanteurs sont gênés par l’étroit passage. C’est brouillon et stupide. Pendant la scène des lettres et des pleurs, Albert rentre dans la chambre de Charlotte en robe de chambre. Ce qui veut dire qu’il fait chambre à part ? Alors que la scène!ne se passe dans un salon. On est perdu et on n’a plus du tout envie de réfléchir.
Par contre, la scénographie est bien adaptée à l’Auditorium. Elle fonctionne très bien autour d’un décor central sur plateau tournant. Tant qu’aux costumes, qu’est-ce qu’il se passe ? Charlotte prend 20 ans de plus, Albert a les mains rouges ? Werther semble avoir un costume mal taillé à ses mesures en tissus brillant de fin de solde. Les tentures noires de fond et de côtés sont vraiment placées en « caches-misère ». Les éclairages ont quelques hésitations. La plus belle scène visuelle du spectacle est la descente d’une cabane en haut du plateau, de flocons de neige dans laquelle Werther gamin, s’amuse pendant l’agonie de Werther.
Sans nul doute, Benjamin Bernheim est le Werther de notre époque. Il a, par sa jeunesse et sa voix, tous les attraits pour composer un touchant poète. Hélas, il ne semble pas très à l’aise scéniquement. Il faut dire qu’avec un costume mal taillé sans aucune tenue, une perruque frisée et des rouflaquettes légèrement décollées, le pauvre n’est pas aidé. Décidément ce metteur en scène aime les postiches de mauvais goût (on se souvient de l’horrible perruque rouge de Carmen pour Aude Extrémo). Pourquoi n’a t-il pas laissé le ténor avec son réel physique, comme l’ont fait Jacquot ou Serban dans d’autres mises en scène. Côté vocal, Benjamin Bernheim se donne à fond avec toutes les intentions et surtout tout la puissance vocale requise par ce rôle. C’est vraiment le futur grand Werther. Michèle Losier est Charlotte. Ses airs du troisième acte sont magnifiques. Même si elle semble ne pas être habitée par le personnage, la couleur et la projection de sa voix sont au rendez-vous. L’émotion de l’ouvrage semble démarrer à ce moment là. Lionel Lhote est toujours la valeur sûre. On l’aime, car comme dans de nombreux rôles, il campe admirablement ses personnages. Sa voix est toujours envoutante et passionnante. Florie Valiquette, peine un peu à défendre ce rôle très ingrat. La tenue des notes est un peu courte. Pourquoi toujours donner ce rôle à des sopranos trop légères ? Des autres membres de la distribution, ressort surtout Marc Scoffoni dans le rôle du Bailli.
Le grand gagnant de cette production est le chef d’orchestre Pierre Dumoussaud. Quelle précision et rondeur. Les musiciens sont happés par sa maitrise. N’est-il pas nommé aux Victoires de la musique classique ?
Jean-Claude Meymerit
Voulant savoir comment la production avait évolué depuis le 31 janvier, j’y suis revenu ce dimanche 6 février. Pas le moindre changement. Sauf que volontairement j’ai pris une place en haut de l’Amphithéâtre. Autant les voix de Werther et Albert passent aisément ainsi que celle de Charlotte pour ses airs, autant celle de Sophie et du mal à passer. La scénographie est intéressante et esthétique et les éclairages sont beaucoup mieux marqués vu d’en haut. Les va-et-vient des gamins et le tournis donné par le plateau tournant, sont beaucoup mieux acceptés par l’oeil.
Lorsqu’on évoque Roméo et Juliette, l’opéra de Charles Gounod, ce sont surtout les scènes des deux protagonistes qui viennent immédiatement à l’esprit : la scène du balcon et du tombeau.
Pour la série de représentations programmée au Grand Théâtre de Bordeaux le résultat en est tout autre. Cette production est surtout dominée par le Roméo de Pene Pati, par le Chœur de l’Opéra national et par l’Orchestre national Bordeaux-Aquitaine placé sous la baguette électrisante de Paul Daniel.
Tout au long de la soirée nous sommes transportés par la précision des sonorités, la beauté des sons et des notes dans une intelligence d’interprétation assez rare. Du grand art.
Pene Pati a déjà fait les beaux soirs de l’Opéra de Bordeaux avec sa première apparition dans Anna Bolena et surtout avec son inoubliable récital. Lire article dans ce blog : http://jcmbdx.unblog.fr/2018/11/18/pene-pati-au-grand-theatre-de-bordeaux-de-linsolence-vocale-dans-lelegance/. Dans son Roméo, toutes les syllabes sont dites, on entend et on comprend tous les mots. Chacun d’eux raconte une histoire. Cette précision est unique. Même si on n’oublie pas Alfredo Kraus et surtout Roberto Alagna dans ce même rôle, Pene Pati est somptueux. Son « ah ! lève-toi soleil » nous fait rêver. On y croit. De la dentelle. La note finale de son « je veux la revoir » est phénoménale. Il la tient sur toute la portée musicale de l’orchestre et encore bien après, sans la forcer, en forme de cadeau au public.
Les artistes du Chœur, sont au zénith de leur talent. Les attaques sont percutantes, la projection collective est franche et puissante. Aucun flottement. On sent que le travail en amont a du être intense et passionnant. Leur présence vocale et leur engagement sont remarquables.
L’Orchestre national Bordeaux-Aquitaine lui aussi a été magistral. Paul Daniel a su trouver en chaque musicien le petit plus qui donne le frisson. Comme un grande coulée de velours, aucune faiblesse sur toute la partition. Que ce soit les scènes de bagarres ou les scènes d’amour et du tombeau, on est happé par cette masse orchestrale dirigée d’une main de maître.
Si je n’évoque pas les autres protagonistes c’est que je n’ai pas trouvé chez eux cette même force émotionnelle, malgré la présence de magnifiques chanteurs aussi bien dans les premiers que dans les seconds rôles. Il faut dire que l’absence de vraie mise en scène, de décors et costumes y sont pour beaucoup.
En effet, cette forme de présentation dite « mise en espace » offerte ce soir n’est pas des plus agréables visuellement. Les décors sont d’une laideur pas possible. Ce balcon de maison de retraite, cet autel hideux qui sort de terre, ce plateau de bois nu servant de lit et ce praticable de fond de scène sont d’une froideur extrême et enlève toute la poésie à ce drame lyrique. Seule la scène des duels dans un halo de lumière sont efficaces.
Nous sommes loin des magnifiques mises en espace à l’Auditorium de Bordeaux avec Pelléas et Mélisande, Elektra et Walkyrie…Dans la configuration de cette salle, la frontière entre mise en espace et mise en scène reste en effet très mince. Mais sur une vraie scène lyrique, comme celle du Grand Théâtre, l’enjeu n’est pas le même et les limites négatives se voient beaucoup plus.
Le débat est toujours d’actualité : lorsque les moyens financiers sont absents d’une production ne vaut-il pas mieux présenter une version de concert plutôt qu’une pseudo mise en scène qui nuit à l’ouvrage plus qu’elle n’apporte ?
Jean-Claude Meymerit, le 7 mars 2020
Nota : Quand je pense qu’il existe dans les ateliers de l’Opéra de Bordeaux de magnifiques décors du ballet Roméo et Juliette, monté par Charles Jude, pourquoi ne pas les avoir utilisés ? Lire article dans ce blog : http://jcmbdx.unblog.fr/2014/01/01/opera-de-bordeaux-un-romeo-cest-bien-deux-cest-mieux/
Cette célèbre et splendide cantatrice italienne vient de nous quitter dans le silence et la modestie, à l’image de son immense talent. Après avoir bouleversé les amoureux lyriques du monde entier, pendant un demi-siècle, elle vient de s’éteindre à Modène, sa ville natale, à l’âge de 84 ans. C’est dans cette ville italienne qu’elle a été élevée avec un autre célèbre autre artiste Luciano Pavarotti. C’est dans cette même ville qu’elle a créé avec son défunt mari, la basse Nicolaï Ghiaurov, une école de chant internationale.
Pour ceux qui, comme moi ont eu la chance de la voir et de l’écouter sur scène de très nombreuses fois, garderont à jamais au fond de leur cœur ces quelques larmes d’émotion qu’elle provoquait chez nous à chacune de ses apparitions. Avoir été un fan inconditionnel de cette cantatrice, cela a été d’attendre plusieurs heures pour avoir une place, faire des déplacements interminables pour aller l’écouter dans telle ou telle ville européenne, grelotter de froid certains soirs d’hiver à l’attendre à la sortie des artistes pour échanger un ou deux mots avec elle. Chaque fois elle s’excusait de faire attendre son public et manifestait immédiatement son affection en nous adressant quelques mots de gentillesse saupoudrés de beaucoup d’humour. Avec son public, elle restait vraie et très attentionnée. Elle prenait le temps.
Comme pour beaucoup de bordelais fans de cette cantatrice, nous avons eu le privilège de l’entendre à Bordeaux dans un récital lyrique et surtout dans une série de représentations en 1985 de l’opéra de Tchaïkovsky, Eugène Onéguine, dans lequel elle abordait pour la première fois en Europe, le rôle de Tatiana. C’était un événement et un rêve à la fois. Elle était à notre porte. Je n’oublierai jamais cette venue à Bordeaux. Mirella Freni c’était cette voix unique reconnaissable de tous les amateurs, d’une jeunesse éblouissante qu’elle a gardée jusqu’à la fin de sa carrière, aux aigus puissants et colorés avec une interprétation unique pour chacun de ses personnages.
Parmi tous les opéras que j’ai vu, je ne peux pas oublier sa Marguerite du Faust de Gounod à Bilbao, son Adriana Lecouvreur de Ciléa à Paris et à Bilbao, sa Fédora de Giordano à Gènes et à Vienne, son Don Carlo de Verdi à Avignon, son Eugene Onéguine de Tchaïkovsky à Bordeaux, son Simon Boccanegra à Bilbao, sa Pucelle d’Orléans de Tchaïkovsky à Palerme…ainsi que de très nombreux récitals.
En tant que fan de cette cantatrice depuis ses tous débuts dans les années 60, je n’ai jamais passé plusieurs jours sans écouter sa voix. Pour notre plus grand bonheur, les enregistrements sont nombreux. Cette voix ne s’éteindra jamais, même si en ces jours de deuil, l’écoute de sa voix en est assez difficile. Un admirateur bordelais de cette immense cantatrice.
Jean-Claude Meymerit
Malgré le faible remplissage de la salle du Grand Théâtre de Bordeaux, le public présent, venu de tous les coins de France et d’Europe, était avant tout un public aficionado de Mariella Devia, célèbre cantatrice italienne, une des plus grandes de ces cinquante dernières années. Rares sont les bordelais qui la connaissaient. Pour ceux qui la suivent depuis de nombreuses années, seuls les nombreux enregistrements font foi, car sa présence sur les scènes françaises fut très rare.
Contrairement à certaines de ses consoeurs actuelles, elle n’a jamais beaucoup bénéficié des soutiens médiatiques. Quand je pense que sa venue exceptionnelle en France et plus particulièrement à Bordeaux – merci la Direction de l’Opéra de Bordeaux – n’a pas retenue l’attention de la presse locale, on a le droit de se poser des questions.
Au cours de cette magique soirée, dans un répertoire fait pour elle, elle nous proposa ses quatre musiciens compositeurs de prédilection, Rossini, Bellini, Donizetti et Verdi. Pour chacun d’entre eux, elle nous offrit deux ou trois mélodies puis un air de bravoure d’un de leur opéra. C’est ainsi que nous avons pu une nouvelle fois tomber sous le charme de cette voix unique, précise, puissante au timbre saisissant, idéale pour ce répertoire de bel canto. Tout au long de ce récital, elle était accompagnée au piano par son complice Giulio Zappa.
Merci chère Madame pour cette immense leçon de chant en guise de cadeau de Noël !
Jean-Claude Meymerit, le 15 décembre 2019
C’est Eva-Maria Westbroek qui devrait avoir le titre de déesse dans la production de la Walkyrie de Richard Wagner à l’Opéra-Ballet national d’Amsterdam. Malgré le casting très alléchant de l’affiche, il semble, dans ce gigantesque et magnifique dispositif scénique, avoir perdu un peu de sa saveur. Tout ne fonctionne pas comme nous le rêvions.
Et lorsque je parle de fonctionnement, j’y inclus la machinerie qui s’est enrayée en nous donnant un final de l’ouvrage où l’attention était plus portée sur la panique des machinistes que sur les notes musicales de l’Orchestre. Les regards des musiciens lorgnaient ces immenses plateaux de bois coincés au dessus de leurs têtes tel un mikado. Ce capharnaüm visuel très regrettable nous a privé de cette éternelle et émouvante scène finale de l’embrasement du rocher. Comme Brünnhilde n’a pas été entourée d’un cercle de feu, voilà peut être le moyen de raccourcir l’histoire de la tétralogie de Wagner en imaginant une suite de l’histoire sans la bravoure de Siegfried. Ainsi, pas besoin d’être un vaillant héros pour passer une rampe de feu infranchissable. N’importe quel randonneur voyant une jeune femme dormant à poings fermés et allongée au plus haut d’un rocher, ne restera pas insensible à son charme, sans que cette union fasse changer la face du monde. Même les Filles du Rhin auront la paix.
Pour revenir à la soirée néerlandaise, en plus de cette mésaventure technique, côté chanteurs je suis resté sur ma faim. Des grands noms du chant wagnérien étaient sur scène. Et pourtant. Ils semblaient abandonnés, avec d’énormes faiblesses vocales.
Le Hunding de Stephen Milling, passait de très beaux et forts accents à des notes à peine perceptibles. Etonnant ? La Fricka de Okka von der Damerau a su s’imposer par son jeu et sa voix en vraie maîtresse des lieux, mais son mari le Wotan de Iain Paterson, m’a semblé avoir quelques soucis de puissance et d’engagement alors que dans d’autres productions il s’était fait remarqué. Quand je pense qu’il est le Wotan du nouveau Ring de Paris, j’ai quelques craintes. Tous ces constats ne viendraient-ils pas de ce dispositif scénique difficile ? La Brünnhilde de Martina Serafin est une prise de rôle. Quelques notes acides par ci par là, avec peut être un jeu un peu trop académique. Même si j’aime beaucoup cette chanteuse, l’ayant découverte à Toulouse dans la Maréchale qui fut pour moi une révélation puis dans Sieglinde et Isolde à Paris, elle est dans Brünnhilde très loin de Lise Lindstrom, d’Evelyn Herlitzius, d’Irène Théorin, d’Ingela Brimberg (extrordianaire Brünnhilde de Bordeaux), et bien sûr très loin de la sublime Nina Stemme. Là où c’est vraiment critique, c’est pour Michael Köning dans le rôle de Siegmund. Il est très faible vocalement. C’est évident que dans une autre mise en scène et dans une petite salle il doit faire son effet mais ici à Amsterdam c’est la noyade. Son « Wälse » en particulier est parfait, sauf que tout est faible. Cette différence s’est fait surtout sentir dans tous ses duos avec celle qui fut la déesse de la soirée, Eva-Maria Westbroek dans Sieglinde. Elle est le personnage, belle, sensible, émouvante…Sans jamais forcer la voix, elle envahie le plateau et la salle, par ses accents si reconnaissables et la beauté de ce timbre charnel et fruité qui va si bien au personnage terrien de Sieglinde. Ce déséquilibre vocal avec son frère était trop marqué.
Pour Les Walkyries, je n’ai entendu que cacophonie et certaines notes très stridentes. Les voix ne s’accordaient pas. Lorsqu’on se souvient des Walkyries de la récente production de Bordeaux, on ne peut qu’avoir de la nostalgie. Peut on dire que c’est la faute une nouvelle fois à ce dispositif si imposant que les chanteurs ont un peu peiné aussi bien vocalement que scéniquement ? C’est en partie vrai mais pas pour tous les chanteurs.
Cette production reste toutefois magnifique. Lorsque Pierre Audi l’a imaginé en 1998, c’était osé. Chaque public prend ses repères, ses codes, dans tout ce qu’il voit sur scène. De la lance surdimensionnée allant du plafond de la salle à la scène aux faux balcons avec public, installés au dessus du plateau qui empiète sur les premiers rangs de la salle, tout est surréaliste. Cependant lorsqu’on regarde de plus près la mise en scène proprement dite, d’énormes erreurs et contre-sens apparaissent. Beaucoup de va-et-vient de bas en haut du plateau pas toujours justifiés. Des scènes où les personnages s’allongent sur le sol, pas des plus réussies. Le ballet des Walkyries est même ridicule.
Par contre les costumes de Eiko Ishioka sont très beaux avec des touches de grands couturiers surtout pour les Walkyries et Brünnhilde. La coupe du manteau de cette dernière est remarquable. La mise en scène de cette production fait penser par moment à celles de Wieland Wagner mais dépourvue de pureté et d’émotion. Une trouvaille est d’avoir placé tous les musiciens de l’Orchestre philharmonique néerlandais au milieu du plateau scénique. C’est beau et efficace. On se demande comment son chef Marc Albrecht Marc arrive à diriger cette masse orchestrale et tous les chanteurs avec autant de finesse et subtilités. Sa direction est envoûtante. Du grand Wagner « de chambre ». Combien de fois ai-je fermé les yeux, rien que pour écouter ce torrent de délicatesse musicale. La présence d’un orchestre au milieu des chanteurs nous offre une écoute rare de l’oeuvre de Wagner.
Eva-Maria Westbroek et Marc Albrecht resteront pour longtemps dans nos mémoires, les Dieux de cette Walkyrie hollandaise.
Jean-Claude Meymerit, 22 novembre 2019
Que l’on se soit un musicien très pointu, un amateur musical averti ou que l’on soit un passant de la rue qui regardant par la fenêtre de la Machine à musique-Lignerolles à Bordeaux franchit le seuil de la boutique, on est tous pris par ces deux heures passionnantes de découvertes et de beautés musicales.
Face à une salle bondée, avec des gens débout et assis à même le sol, Thomas Dolié, célèbre baryton qui chacune de ses apparitions sur les scènes lyriques fait un triomphe, devient chef de Labo d’un soir. Accompagné de ses complices Anthony Sycamore, pianiste et Alexis Descharmes violoncelliste à l’Orchestre national de Bordeaux Aquitaine, ils animent tous les trois cette soirée avec aisance, humour et professionnalisme. Ces trois artistes nous dissèquent les lieder choisis. Ce soir sur la paillasse du Labo, Alexandre Borodine et Frantz Schubert. Chaque lied est interprété, corrigé, analysé tout en demandant l’avis du public sur les changements apportés. Un vrai travail pédagogique et interactif. Du grand art.
Au cours de ce cycle » le Labo du chanteur » de talentueux artistes, de surcroit bordelais, tous reconnus dans le monde lyrique viennent ou vont venir nous enchanter : Aude Extrémo, Gaëlle Flores, Sébastien Guèze, Florian Sempey, Stanislas de Barbeyrac et bien d’autres, sans oublier bien sûr Thomas Dolié avec cette voix reconnaissable entre toutes : charnelle, profonde, puissante et au timbre magnifiquement coloré.
Pourquoi ne voyons-nous pas plus souvent cet artiste sur nos scènes lyriques, dans de grands rôles d’opéras ? Le mystère sur les critères de choix des Directeurs de théâtre.
Jean-Claude Meymerit, 2 novembre 2019
Nota : pour notre culture générale, on a appris en aparté que Borodine chimiste de formation est à l’origine d’une découverte scientifique appelée « la réaction Borodine ».
Marina Rebeka et Karine Deshayes triomphent et enflamment le Capitole de Toulouse dans une nouvelle production de Norma de Vincenzo Bellini, mise en scène par Anne Delbée. Pour ces deux cantatrices, ce fut un délire du public au moment du salut final.
Marina Rebecca a cet aplomb dans la voix. Elle tient ce rôle du début à la fin de l’ouvrage avec une ligne de chant belcantiste, allant du grave bien posé aux aigus percutants, tout en gardant cette fraicheur de timbre. Elle est à la fois par son jeu et sa voix, la vengeresse déterminée, la mère coupable et surtout l’amoureuse cachée. Sa confidente Karine Deshayes est Adalgisa. Elle a ce « je ne sais quoi » qui nous fait chavirer par son grain de voix, son velouté, sa puissance dans les aigus et ces phrasés dans les graves qui malgré un peu de perte de noirceur, nous envoutent. La communion de ces deux voix féminines est magique. Dans leurs duos, elles sont toujours reconnaissables dans les moindres détails. Du grand art.
Chez les hommes, nous restons un peu sur notre faim. Pollione en la personne de Airam Hernandez démarre au premier acte sur les chapeaux de roues, avec une puissance de voix, ensoleillée et très bien projetée. Les passages dans les tonalités plus aigues semblent rester un peu en arrière. La fatigue peut être. Prévu dans le second casting il a dû assurer toute la série. Ses quelques difficultés semblent passagères. C’est un grand ténor comme on les aime, généreux.
Tous les seconds rôles, par contre, semblent assez faibles et très en retrait physiquement et surtout vocalement.
Les chœurs du Capitole toujours au top de leur talent. C’est toujours une émotion de les écouter. L’Orchestre national du Capitole n’a fait qu’une bouchée de cette partition, grâce à la baguette subtile et magique tenue par le maestro Giampolo Bisanti.
Reste la mise en scène de Anne Delbée. Elle connait très bien l’histoire et toutes les légendes qui sont rapportées à cette période historique entre les gaulois et les romains. Cependant par moment il n’y a qu’elle qui s’y retrouve, car entre les surtitrages, et les symboles traditionnels disparus – les époux ne se jettent pas dans les flammes, il n’y a pas de gui, de gongs, d’armes, de morts… – et tous ceux qu’elle a rajoutés – on finit par s’y perdre. Est-ce grave ? Je ne pense pas. La musique parle d’elle même. Par contre, avoir ajouté des textes parlés, diffusés par hauts parleurs pendant l’ouverture musicale de l’œuvre et au cours du spectacle, je dis stop ! Si je vais à l’opéra c’est pour entendre de la musique, ce n’est pour écouter des textes, non voulu par l’auteur, masquant la musique. De plus ces textes étaient très mal dits comme si à Toulouse il n’y avait pas de comédien sachant articuler avec un timbre intéressant. On ne comprenait rien du tout. Il est curieux qu’un metteur prenne la liberté de nous priver de musique pour laisser la place à des textes parlés. C’est une trahison.
Jean-Claude Meymerit le 29 septembre 2019
PS : pendant tout le premier acte et dans d’autres scènes du spectacle, des projecteurs, dont un blanc super puissant, installés dans les cintres se reflétaient sur le praticable de scène en éblouissant le public placé dans les hauteurs. On ne pouvait pas distinguer les visages des protagonistes.
Pourquoi pas ! Ce n’est pas la première fois qu’un metteur en scène utilise la reconstitution scénique d’un théâtre dans une production lyrique. Ça provoque toujours son petit effet. Ce soir, à l’occasion de la présentation de l’unique opéra de Jacques Offenbach, les Contes d’Hoffmann, sur la scène du Grand Théâtre de Bordeaux, le très beau décor, fidèle à son modèle semble toutefois compliquer quelque peu la compréhension déjà très alambiquée de l’intrigue. La reconstitution du hall avec son grand escalier s’organise au fil des tableaux, comme un jeu de construction. Parfois cela fonctionne, d’autres fois l’imposant dispositif handicape fortement l’histoire et l’intensité dramatique de l’œuvre. Pourquoi ?
Déjà que l’histoire de cet opéra n’est pas des plus évidents, où s’entrecroisent les rêves, la fiction, la magie, la réalité, les travestis, les mélanges de personnages…Vincent Huguet a rajouté sa touche de complications, tout en voulant simplifier. Ce paradoxe en devient alors unique et très passionnant.
Le décor est tellement grandiose et beau qu’il ne doit servir que d’écrin à l’écoute. Le reste tant pis si on ne comprend pas toutes les subtilités et tous les détours dramatiques de l’œuvre. Le metteur en scène a fortement insisté sur l’allusion, voulue par Offenbach, d’une représentation de Don Giovanni, en plaçant toute l’oeuvre au Grand Théâtre, aussi bien vu des coulisses, de la salle, du bar et du hall d’entrée. On est immédiatement plongé dans cet univers. On y aperçoit les divers métiers d’un théâtre : les musiciens, les pompiers, les couturiers, les machinistes, les ouvreuses, etc. C’est intelligent mais malheureusement cela ne fonctionne pas toujours. C’est parfois même un peu tiré par les cheveux. C’est aussi l’œuvre qui veut ça. Elle est assez tarabiscotée.
Ce n’est pas Hofmann qui voit en la personne de la diva Stella, l’image de ses trois anciennes aventures amoureuses, mais c’est Stella – elle-même – cantatrice adulée qui chante ces trois opéras bien distincts – Olympia, Antonia et Guiletta – Elle interprète ces rôles sur la scène du Grand Théâtre reconstitué (en plus du Don Giovanni !). C’est là où tout se complique. Je ne sais pas si vous suivez ?
C’est cette différence entre vision et réalité qui crée l’ambiguïté dans la compréhension. Pour exemple : la poupée automate, vue par Hofmann, devient une chanteuse qui s’amuse en chantant et non une poupée automate chantante… Du coup cet acte, d’habitude si joyeux, tombe un peu à plat.
Par contre, à l’acte d’Antonia, avoir remplacé les flacons de poison par des partitions musicales est une trouvaille géniale. Combien d’agents d’artistes ou de directeurs de maisons lyriques font miroiter un avenir merveilleux à de jeunes chanteurs en leur proposant des prises de rôles au dessus de leurs moyens, ce qui les détruit dans les années qui suivent. Ce parallèle est remarquable.
Ayant vu cette production bordelaise deux fois coup sur coup, je pense qu’il ne faut pas chercher trop loin. Le public doit piocher dans cette immense fresque musicale, ce qu’il a envie d’entendre et de voir. Peu importe de savoir qui est qui, qui fait quoi. Sinon on passe son temps à essayer de tout comprendre et on zappe le principal qui est la musique, les voix et le plaisir des yeux.
Depuis le temps que je vois des Contes d’Hofmann sur diverses scènes lyriques, je ne me suis jamais cassé la tête à essayer de comprendre l’intrigue au mot à mot. C’est un opéra tellement complexe qu’il vaut mieux se laisser bercer par ce torrent d’airs, de mélodies magnifiques…qui varient en fonction des versions. Celle que nous applaudissons en ce moment au Grand Théâtre m’a fait découvrir de nouveaux airs et d’ensembles que je n’avais jamais encore entendu dans cette oeuvre.
Cette version choisie à Bordeaux de Kaye et de Keck est proposée par Marc Minkowski. Grâce à l’Orchestre national de l’Opéra, elle sonne en précision et brille en couleurs.
Les trois rôles féminins sont tenus par Jessica Pratt, que je ne connaissais pas très bien avant cette prestation. Comme souvent, lorsque les rôles sont chantés par la même interprète, quelques carences apparaissent dans chacun des personnages. C’est le cas. Me manquent certaines pirouettes et vocalises dans Olympia, un peu plus d’émotion vocale chez Antonia, et surtout un peu plus de couleurs graves chez Gulietta. Hofmann, c’est Adam Smith, un jeune ténor de la trentaine à la fougue et le physique du rôle. Avec quelques difficultés dans certains passages vers les aigus, de ce rôle écrasant, il sort de ses gonds pour nous offrir un jeune poète aux accents chaleureux et puissants. Ce chanteur par son charisme et son engagement vocal est à suivre. Vivement de le voir dans d’autres rôles ! Les diables de Nicolas Cavallier sont excellents comme ce que fait toujours cet immense chanteur dans tous les rôles qu’il aborde. Une voix plus sombre pour tous ces rôles de démons ? Non, car avoir une telle articulation et un jeu comme lui, ne nous privons pas de ses prestations uniques. Aude Extrémo dans Nicklausse – rôle que j’affectionne plus particulièrement – a toujours ce timbre envoûtant et prenant, avec une présence scénique altière et précise. Son air du second acte vaut à lui seul l’achat d’une place au spectacle.
Tous les seconds rôles sont sublimes. Quel plateau ! Une mention spéciale pour Marc Mauillon dans les quatre rôles de serviteurs, à la présence affirmée et la voix claire et très bien projetée. Une mention aussi à Christophe Mortagne dans Spalanzani, quelle précision ! N’oublions pas non plus le talentueux Eric Huchet et Jérôme Varnier à la voix chaude et sonore qui ne déçoit jamais son public..
Tout ce beau monde qui ne demandait qu’à s’éclater, s’est trouvé un peu corseté dans les griffes de Vincent Huguet et par l’architecture de notre très bel opéra qu’est le Grand Théâtre de Bordeaux.
Jean-claude Meymerit, 22 september 2019
Après son détonnant récital au Grand Théâtre de Bordeaux en mars dernier, (voir CR sur ce blog), Florian Sempey nous revient à Saint-Emilion dans le cadre du festival Vino Voce, avec un programme enivrant. Il a choisi comme fil conducteur les plaisirs du vin et la bonne chère. Prudemment, il attaque son récital avec trois poèmes de Francis Poulenc puis enchaîne avec une création, une mélodie écrite spécialement pour lui par Isabelle Aboulker à l’occasion de ses trente ans.
Vint ensuite sa magnifique interprétation du Poème de l’Amour et de la Mer d’Ernest Chausson. Quel dommage, pas en entier.
Après une mélodie alerte et patriotique en français de Richard Wagner, les Deux grenadiers, Florian Sempey nous entraîne dans un répertoire dans lequel il excelle au plus haut niveau, celui des barytons bouffes des Rossini et Donizetti. Ces airs sont écrits pour lui. On l’écouterait des heures. Il en a la fougue, le jeu théâtral, la stature et bien sûr la voix charnelle et puissante. A Saint-Emilion, les airs de l’Echelle de soie et de Don Pasquale furent des bijoux. Pourvu qu’il ne s’enferme toutefois pas trop vite dans ce répertoire ?
Je ne le pense pas, car quand on écoute ses airs d’Hamlet d’Ambroise Thomas et celui du Pardon de Ploërmel de Giacomo Meyerbeer, on espère vivement le voir rapidement en France dans ces rôles là. Que ses en, in, on… sont beaux. Du velours.
N’oublions pas de remercier et de féliciter les doigts de fées qui l’accompagnaient au piano : la grande Irène Kudela.
Avec Florian Sempez on est dans la fragilité, la sensualité, la fougue, le comique…le tout posé sur une parfaite diction avec une maîtrise de couleurs et une projection vocale, impressionnantes.
Levons notre verre et saluons ce magnifique baryton.
Jean-Claude Meymerit le 7 septembre 2019
Il faut être vraiment passionné par les œuvres de Wagner pour avoir osé faire dix heures de train aller retour afin d’assister à une représentation du Vaisseau fantôme – ou Le Hollandais volant ou tout simplement Der Fliegende Holländer pour les puristes -.
Ce voyage épique visait essentiellement la mise en scène des sœurs Rebecca et Beverly Blankenship. Pas de déception, cette scénographie est remarquable. Sur la totalité du plateau est installée une immense piscine noire contenant une vingtaine de centimètres d’eau. Pendant toute la représentation, les artistes des chœurs, les figurants et les solistes se déplacent dans cet élément naturel avec fougue ou précaution. Dans cet environnement aquatique, soit le bruit du brassage de l’eau se fait entendre violemment soit seuls quelques clapotis fixent notre attention. C’est très beau et efficace.
L’amarrage des vaisseaux est symbolisé par des cordes qui descendent des cintres et utilisées par tous les protagonistes comme dans un spectacle de music-hall. Le tableau de Senta est représenté par une immense bobine symbolisant un rouet qui réalise des cordages. Toujours les pieds dans l’eau, les femmes font tourner cette bobine comme le feraient des esclaves. Pour le dernier tableau, des bittes d’amarrage sont alignées sur un côté du plateau. Un quai de port dans un matin brumeux.
La magie de cette mise en scène vient aussi d’intelligents et précis éclairages omniprésents tout au long de l’œuvre ainsi que des fumées imitant les brouillards et les écumes qui enfin ne sont pas diffusés gratuitement comme bien souvent sur les scènes théâtrales. Ici ces fumées ont un sens. Sur un cadre noir en avant scène, le nombre d’années d’errance du Hollandais est symbolisé tout autour par des marquages de barres de comptage.
Le second vainqueur de la soirée est l’orchestre symphonique de Bretagne dirigé par Rudolf Piehlmayer. Il a su doser et maitriser les forces musicales wagnériennes en respectant les petites dimensions de la salle.
Reste les chanteurs. On nous a annoncé une Senta souffrante. Je pense qu’en possession de tous ses moyens elle aurait été une sublime Senta. Elle a de la jeunesse dans la voix, des aigus percutants et très bien projetés. Les attaques un peu timides mais ce soir elle est tout à fait excusée.
Pour la distribution masculine, j’ai beaucoup souffert. Des timbres pas très beaux, certaines voix comme usées, des écarts de justesse, des efforts vocaux inutiles… Quel dommage ! Un Vaisseau fantôme sans belles voix masculines, c’est triste. Les Chœurs des deux maisons lyriques de Nantes et Angers, acteurs permanents, manquent un peu de mordant et d’unisson.
Rien que pour la mise en scène il faut aller voir cette production de Nantes-Angers-Rennes. On s’y noierait presque !
Jean-Claude Meymerit, 5 juin 2019