Lorsqu’on évoque Roméo et Juliette, l’opéra de Charles Gounod, ce sont surtout les scènes des deux protagonistes qui viennent immédiatement à l’esprit : la scène du balcon et du tombeau.
Pour la série de représentations programmée au Grand Théâtre de Bordeaux le résultat en est tout autre. Cette production est surtout dominée par le Roméo de Pene Pati, par le Chœur de l’Opéra national et par l’Orchestre national Bordeaux-Aquitaine placé sous la baguette électrisante de Paul Daniel.
Tout au long de la soirée nous sommes transportés par la précision des sonorités, la beauté des sons et des notes dans une intelligence d’interprétation assez rare. Du grand art.
Pene Pati a déjà fait les beaux soirs de l’Opéra de Bordeaux avec sa première apparition dans Anna Bolena et surtout avec son inoubliable récital. Lire article dans ce blog : http://jcmbdx.unblog.fr/2018/11/18/pene-pati-au-grand-theatre-de-bordeaux-de-linsolence-vocale-dans-lelegance/. Dans son Roméo, toutes les syllabes sont dites, on entend et on comprend tous les mots. Chacun d’eux raconte une histoire. Cette précision est unique. Même si on n’oublie pas Alfredo Kraus et surtout Roberto Alagna dans ce même rôle, Pene Pati est somptueux. Son « ah ! lève-toi soleil » nous fait rêver. On y croit. De la dentelle. La note finale de son « je veux la revoir » est phénoménale. Il la tient sur toute la portée musicale de l’orchestre et encore bien après, sans la forcer, en forme de cadeau au public.
Les artistes du Chœur, sont au zénith de leur talent. Les attaques sont percutantes, la projection collective est franche et puissante. Aucun flottement. On sent que le travail en amont a du être intense et passionnant. Leur présence vocale et leur engagement sont remarquables.
L’Orchestre national Bordeaux-Aquitaine lui aussi a été magistral. Paul Daniel a su trouver en chaque musicien le petit plus qui donne le frisson. Comme un grande coulée de velours, aucune faiblesse sur toute la partition. Que ce soit les scènes de bagarres ou les scènes d’amour et du tombeau, on est happé par cette masse orchestrale dirigée d’une main de maître.
Si je n’évoque pas les autres protagonistes c’est que je n’ai pas trouvé chez eux cette même force émotionnelle, malgré la présence de magnifiques chanteurs aussi bien dans les premiers que dans les seconds rôles. Il faut dire que l’absence de vraie mise en scène, de décors et costumes y sont pour beaucoup.
En effet, cette forme de présentation dite « mise en espace » offerte ce soir n’est pas des plus agréables visuellement. Les décors sont d’une laideur pas possible. Ce balcon de maison de retraite, cet autel hideux qui sort de terre, ce plateau de bois nu servant de lit et ce praticable de fond de scène sont d’une froideur extrême et enlève toute la poésie à ce drame lyrique. Seule la scène des duels dans un halo de lumière sont efficaces.
Nous sommes loin des magnifiques mises en espace à l’Auditorium de Bordeaux avec Pelléas et Mélisande, Elektra et Walkyrie…Dans la configuration de cette salle, la frontière entre mise en espace et mise en scène reste en effet très mince. Mais sur une vraie scène lyrique, comme celle du Grand Théâtre, l’enjeu n’est pas le même et les limites négatives se voient beaucoup plus.
Le débat est toujours d’actualité : lorsque les moyens financiers sont absents d’une production ne vaut-il pas mieux présenter une version de concert plutôt qu’une pseudo mise en scène qui nuit à l’ouvrage plus qu’elle n’apporte ?
Jean-Claude Meymerit, le 7 mars 2020
Nota : Quand je pense qu’il existe dans les ateliers de l’Opéra de Bordeaux de magnifiques décors du ballet Roméo et Juliette, monté par Charles Jude, pourquoi ne pas les avoir utilisés ? Lire article dans ce blog : http://jcmbdx.unblog.fr/2014/01/01/opera-de-bordeaux-un-romeo-cest-bien-deux-cest-mieux/