Au fil des époques, le jour du Nouvel An n’a pas toujours la même saveur.
Il n’y a pas si longtemps, sans remonter bien loin, je me souviens que ce jour-là était consacré à la famille et aux amis les plus proches. On se rendait visite en fin d’après-midi, sans rendez-vous, pour se souhaiter une bonne année, autour d’une tasse de café, de quelques pâtisseries ou d’un apéritif du soir. Cette journée du 1er janvier permettait aux personnes vivant seules ou isolées de recevoir leur famille ou de voir de rares amis, mais surtout de papoter un moment avec eux.
A l’époque, sur le coin du buffet, commençaient à s’entasser les cartes de vœux déjà reçues, écrites par des personnes éloignées. Même si dans la tête de chacun, la corvée des réponses pointait son nez, car il fallait répondre à tous ces expéditeurs avec la même méthodologie. C’est alors que l’utilisation du téléphone fixe simplifia significativement la corvée de l’écriture. C’était un moyen de discuter avec des personnes que nous n’avions pas la chance de voir tous les jours. Cela prenait du temps mais les émotions et les sentiments passaient. Il y avait une vraie communication.
Avec l’arrivée du téléphone portable et sa banalisation, la situation a complètement basculé. Un paradoxe. Aujourd’hui, les cartes de vœux ont pratiquement disparu et ont été remplacées par des messages informatiques impersonnels rédigés avec un minimum de mots, souvent envoyés à un même groupe de destinataires. Sans parler des messages vocaux pré-enregistrés qui sont insupportables.
Par contre les appels téléphoniques directs ont pratiquement disparus. De ce fait, la personne qui est seule ce jour là se sent encore plus seule que d’habitude. Cette année fut pire que les autres années. Les messages informatiques affluent, j’essaie d’y répondre en personnalisant chaque mot. Pas question par SMS de refaire le monde. En trois mots l’histoire est réglée. Pas un appel téléphonique de la journée. Je n’ai pas émis un seul son vocal. J’aurais pu en passer c’est vrai mais je me suis trouvé face à mes propres contradictions. « Ce n’est pas l’heure, je vais déranger, la personne est peut être en vacances etc. » Lorsqu’on est seul, il est très difficile de faire le premier pas. Combien de fois on veut appeler un tel ou une telle, mais on préfère attendre. Même avec sa propre famille. Ce n’est pas normal que l’on puisse se censurer de la sorte.
Le soir arrivant, vous n’avez plus qu’à reprendre tous ces messages écrits reçus et continuer à y répondre en jonglant avec les erreurs de frappe et surtout ne pas écrire les mêmes formules que l’année précédente – tout se conserve sur les fils d’expédition et de réception -. Le sommeil vous guettant, vous êtes crevé. Vos doigts, déjà atteints d’une certaine rigidité articulaire, sont crispés à force de taper sur les touches minuscules de votre clavier de smartphone.
Vous avez reçu des dizaines de messages, mais vous n’avez pas parlé une seule fois de la journée. Comme vous n’avez pas pris le temps de téléphoner à quelqu’un pour vous décongestionner les cordes vocales, il ne vous reste plus qu’à chanter à tue tête la Marseillaise ou à lire à haute voix un texte de Proust en bien articulant chaque syllabe afin de vous débloquer les mâchoires et vous dégraisser les cordes vocales.
L’an prochain, je prendrai le bottin téléphonique à une heure du matin et j’appellerai des inconnus…