Resquiller ! Qui n’a pas rêvé une fois dans sa vie de resquiller ? Tout le monde, mais de là à resquiller par obligation, le scénario est plus cocasse. Après une escapade à Amsterdam, j’arrive par le célèbre train Thalys à la Gare du Nord de Paris. Pour rejoindre la gare Montparnasse je n’ai qu’une petite heure de battement pour sauter dans un Tgv, direction Bordeaux. C’est chaud !
A peine posé mon pied sur le quai de la Gare du Nord, je repère vite la direction de la bouche de métro. Sauvé je la vois. Après avoir déambulé dans les couloirs suivant toujours le précieux fléchage, je me trouve subitement acculé, comme pris dans un piège à rats devant une armée de bornes automatiques de contrôles. Je devais passer le code barre de mon billet Thalys devant le lecteur automatique. Hélas, je n’avais pas de code barre, seul un numéro de dossier imprimé sur une vulgaire feuille de papier. Quoi faire ? Aller à un guichet ? Où ? Pas un seul à l’horizon du côté de ma prison. Par contre, j’en voyais qui me narguaient de l’autre côté. Les bornes, elles, continuaient à me surveiller avec leurs bras de ferrailles se levant et s’abattant avec fracas. On aurait dit un troupeau de mammouths face à moi. Il n’allait tout de même pas me faire baisser la tête. Je franchirai ce barrage coûte que coûte. Je ne devais pas rater ma correspondance à Montparnasse.
Ayant très souvent vu des jeunes sauter comme des moutons ces barrières, l’idée me vint d’en faire autant. Seulement voilà, mon caban, mon sac de voyage et ma souplesse bien connue, m’ont arrêté net dans mon intention.
Suis-je bête, si je collais un mec d’assez près (pas une femme afin de ne pas en plus avoir d’autres ennuis), juste le temps de passer collé à lui le temps que le portillon s’ouvre et se referme. Mon sac de voyage bien écrasé sur le ventre, je piste un mec surtout pas trop gros et sans bagage et je le suis. Avant cette élancée, J’avais repéré le temps qu’il fallait au portillon pour se refermer. C’est bon j’avais le temps, à condition que le mec ne trébuche pas devant moi ou ne se laisse pas coincé un bras. On aurait été malins lui et moi poings et mains liés coincés par le portillon. Ceci dit, on aurait fait ainsi une partie du travail pour la police. Heureusement tout s’est bien passé et j’ai eu largement le temps de passer derrière mon innocent complice qui ne s’est rendu compte de rien. Ou plutôt habitué à ce genre de technique.
J’arpentais à toute allure les couloirs pour rejoindre ma ligne de métro choisie.
Manque de chance, deuxième barrage. Cette fois-ci il fallait glisser un ticket de métro dans la borne. Pas de problème, j’avais acheté il y a quelques semaines un carnet de tickets. J’introduis un ticket, rejeté car pas valide, un deuxième rejeté car pas valide, un troisième rejeté car pas valide. Je commence à paniquer car les minutes passaient et je n’étais pas encore sur le quai de Montparnasse. Le temps que cherche autour de moi, dans des torrents de personnes qui avancent vers ces avaleurs de tickets, impossible d’apercevoir un guichet, un contrôleur, un agent de sécurité. Voyant mon désarroi, un mec me propose spontanément que je me mette devant lui, il se colle à moi, il met son ticket dans la machine, le portillon s’ouvre et nous passons unis pour la vie et la mort.
Soulagé je remercie le mec et me retrouve nez à nez avec un autre couple, mais cette fois il était en uniforme. C’était des contrôleurs. Vite escapade. Ces agents ne nous avaient pas vus.
Je bondis dans une rame avec la crainte d’être contrôlé en cours de transport. J’avais bien mon carnet de dix tickets, mais aucun n’était validé. A Montparnasse, repanique. Et s’il fallait passer le ticket à un nouveau contrôle ? Non sortie libre. Une fois dans le hall, je me précipite vers un guichet pour avoir des explications sur l’état de mes tickets. La dame de l’accueil me dit d’une manière désinvolte, « ils sont démagnétisés ! ». Elle échangea tous mes tickets et je monte les escaliers quatre à quatre. Je n’avais que dix minutes devant moi.
J’avais traversé Paris en métro sans titre de transports. Tout compte fait c’est excitant. Il suffit de trouver un partenaire de jeu à chaque borne de contrôle. Voilà une piste pour de belles rencontres d’âmes seules !
C’est Eva-Maria Westbroek qui devrait avoir le titre de déesse dans la production de la Walkyrie de Richard Wagner à l’Opéra-Ballet national d’Amsterdam. Malgré le casting très alléchant de l’affiche, il semble, dans ce gigantesque et magnifique dispositif scénique, avoir perdu un peu de sa saveur. Tout ne fonctionne pas comme nous le rêvions.
Et lorsque je parle de fonctionnement, j’y inclus la machinerie qui s’est enrayée en nous donnant un final de l’ouvrage où l’attention était plus portée sur la panique des machinistes que sur les notes musicales de l’Orchestre. Les regards des musiciens lorgnaient ces immenses plateaux de bois coincés au dessus de leurs têtes tel un mikado. Ce capharnaüm visuel très regrettable nous a privé de cette éternelle et émouvante scène finale de l’embrasement du rocher. Comme Brünnhilde n’a pas été entourée d’un cercle de feu, voilà peut être le moyen de raccourcir l’histoire de la tétralogie de Wagner en imaginant une suite de l’histoire sans la bravoure de Siegfried. Ainsi, pas besoin d’être un vaillant héros pour passer une rampe de feu infranchissable. N’importe quel randonneur voyant une jeune femme dormant à poings fermés et allongée au plus haut d’un rocher, ne restera pas insensible à son charme, sans que cette union fasse changer la face du monde. Même les Filles du Rhin auront la paix.
Pour revenir à la soirée néerlandaise, en plus de cette mésaventure technique, côté chanteurs je suis resté sur ma faim. Des grands noms du chant wagnérien étaient sur scène. Et pourtant. Ils semblaient abandonnés, avec d’énormes faiblesses vocales.
Le Hunding de Stephen Milling, passait de très beaux et forts accents à des notes à peine perceptibles. Etonnant ? La Fricka de Okka von der Damerau a su s’imposer par son jeu et sa voix en vraie maîtresse des lieux, mais son mari le Wotan de Iain Paterson, m’a semblé avoir quelques soucis de puissance et d’engagement alors que dans d’autres productions il s’était fait remarqué. Quand je pense qu’il est le Wotan du nouveau Ring de Paris, j’ai quelques craintes. Tous ces constats ne viendraient-ils pas de ce dispositif scénique difficile ? La Brünnhilde de Martina Serafin est une prise de rôle. Quelques notes acides par ci par là, avec peut être un jeu un peu trop académique. Même si j’aime beaucoup cette chanteuse, l’ayant découverte à Toulouse dans la Maréchale qui fut pour moi une révélation puis dans Sieglinde et Isolde à Paris, elle est dans Brünnhilde très loin de Lise Lindstrom, d’Evelyn Herlitzius, d’Irène Théorin, d’Ingela Brimberg (extrordianaire Brünnhilde de Bordeaux), et bien sûr très loin de la sublime Nina Stemme. Là où c’est vraiment critique, c’est pour Michael Köning dans le rôle de Siegmund. Il est très faible vocalement. C’est évident que dans une autre mise en scène et dans une petite salle il doit faire son effet mais ici à Amsterdam c’est la noyade. Son « Wälse » en particulier est parfait, sauf que tout est faible. Cette différence s’est fait surtout sentir dans tous ses duos avec celle qui fut la déesse de la soirée, Eva-Maria Westbroek dans Sieglinde. Elle est le personnage, belle, sensible, émouvante…Sans jamais forcer la voix, elle envahie le plateau et la salle, par ses accents si reconnaissables et la beauté de ce timbre charnel et fruité qui va si bien au personnage terrien de Sieglinde. Ce déséquilibre vocal avec son frère était trop marqué.
Pour Les Walkyries, je n’ai entendu que cacophonie et certaines notes très stridentes. Les voix ne s’accordaient pas. Lorsqu’on se souvient des Walkyries de la récente production de Bordeaux, on ne peut qu’avoir de la nostalgie. Peut on dire que c’est la faute une nouvelle fois à ce dispositif si imposant que les chanteurs ont un peu peiné aussi bien vocalement que scéniquement ? C’est en partie vrai mais pas pour tous les chanteurs.
Cette production reste toutefois magnifique. Lorsque Pierre Audi l’a imaginé en 1998, c’était osé. Chaque public prend ses repères, ses codes, dans tout ce qu’il voit sur scène. De la lance surdimensionnée allant du plafond de la salle à la scène aux faux balcons avec public, installés au dessus du plateau qui empiète sur les premiers rangs de la salle, tout est surréaliste. Cependant lorsqu’on regarde de plus près la mise en scène proprement dite, d’énormes erreurs et contre-sens apparaissent. Beaucoup de va-et-vient de bas en haut du plateau pas toujours justifiés. Des scènes où les personnages s’allongent sur le sol, pas des plus réussies. Le ballet des Walkyries est même ridicule.
Par contre les costumes de Eiko Ishioka sont très beaux avec des touches de grands couturiers surtout pour les Walkyries et Brünnhilde. La coupe du manteau de cette dernière est remarquable. La mise en scène de cette production fait penser par moment à celles de Wieland Wagner mais dépourvue de pureté et d’émotion. Une trouvaille est d’avoir placé tous les musiciens de l’Orchestre philharmonique néerlandais au milieu du plateau scénique. C’est beau et efficace. On se demande comment son chef Marc Albrecht Marc arrive à diriger cette masse orchestrale et tous les chanteurs avec autant de finesse et subtilités. Sa direction est envoûtante. Du grand Wagner « de chambre ». Combien de fois ai-je fermé les yeux, rien que pour écouter ce torrent de délicatesse musicale. La présence d’un orchestre au milieu des chanteurs nous offre une écoute rare de l’oeuvre de Wagner.
Eva-Maria Westbroek et Marc Albrecht resteront pour longtemps dans nos mémoires, les Dieux de cette Walkyrie hollandaise.
Jean-Claude Meymerit, 22 novembre 2019
Que l’on se soit un musicien très pointu, un amateur musical averti ou que l’on soit un passant de la rue qui regardant par la fenêtre de la Machine à musique-Lignerolles à Bordeaux franchit le seuil de la boutique, on est tous pris par ces deux heures passionnantes de découvertes et de beautés musicales.
Face à une salle bondée, avec des gens débout et assis à même le sol, Thomas Dolié, célèbre baryton qui chacune de ses apparitions sur les scènes lyriques fait un triomphe, devient chef de Labo d’un soir. Accompagné de ses complices Anthony Sycamore, pianiste et Alexis Descharmes violoncelliste à l’Orchestre national de Bordeaux Aquitaine, ils animent tous les trois cette soirée avec aisance, humour et professionnalisme. Ces trois artistes nous dissèquent les lieder choisis. Ce soir sur la paillasse du Labo, Alexandre Borodine et Frantz Schubert. Chaque lied est interprété, corrigé, analysé tout en demandant l’avis du public sur les changements apportés. Un vrai travail pédagogique et interactif. Du grand art.
Au cours de ce cycle » le Labo du chanteur » de talentueux artistes, de surcroit bordelais, tous reconnus dans le monde lyrique viennent ou vont venir nous enchanter : Aude Extrémo, Gaëlle Flores, Sébastien Guèze, Florian Sempey, Stanislas de Barbeyrac et bien d’autres, sans oublier bien sûr Thomas Dolié avec cette voix reconnaissable entre toutes : charnelle, profonde, puissante et au timbre magnifiquement coloré.
Pourquoi ne voyons-nous pas plus souvent cet artiste sur nos scènes lyriques, dans de grands rôles d’opéras ? Le mystère sur les critères de choix des Directeurs de théâtre.
Jean-Claude Meymerit, 2 novembre 2019
Nota : pour notre culture générale, on a appris en aparté que Borodine chimiste de formation est à l’origine d’une découverte scientifique appelée « la réaction Borodine ».
En me promenant dans les allées colorées de ma librairie préférée, je suis attiré par la couverture rouge d’un gros livre.Ce bouquin est consacré à un fragment de vie d’un grand syndicat français qui a œuvré dans un festival musical réputé du Sud-Ouest de la France.
En feuilletant les toutes premières pages, je tombe sur une boulette des plus insolites et des plus hallucinantes. Il est dit dans une page de préface que la réplique « qu’allait-il faire dans cette galère » est de Shakespeare. Pensant que mon cerveau était parti en vrille sous l’effet d’un coup de chaleur, je relis le paragraphe en entier pour en être bien sûr. C’était bien écrit.
Je savais déjà que certains détracteurs de Molière pensent que c’est Corneille qui avait écrit certaines pièces comiques de notre cher Jean-Baptiste national, mais de là à imaginer que son homologue d’outre-Manche ait écrit les Fourberies de Scapin, il y a de quoi mettre en transe tous les étudiants français en manque de sujets de thèse (*).
Comment une telle boulette est-elle passée à la barbe de tous les auteurs, les infographistes, les correcteurs, l’éditeur de cet ouvrage ? Surtout que le mot Shakespeare est plus compliqué à orthographier que le mot Molière ! En lisant cette affirmation dans un livre qui se veut sérieux et diffusé en librairies, toutes mes connaissances littéraires théâtrales de base, s’effondrent.
Aussi, je propose à l’union européenne de revoir ses classiques et de redistribuer les cartes : si le Brexit empiète déjà sur nos références françaises, pourquoi ne pas lui rendre la pareille et décider que « to be or not to be » soit de Molière !
Aussi, je compte vivement sur ce syndicat pour nous dévoiler dans un prochain bouquin d’autres secrets de la littérature française.
Jean-Claude Meymerit
(*) afin de ne pas froisser certaines susceptibilités intellectuelles, je précise un point que tout le monde connait : Molière avait lui-même emprunté cette réplique dans une pièce de Savinien de Cyrano dit de Bergerac, intitulée Le Pédant joué. C’est ce même Savinien de Cyrano de Bergerac qui inspira plus tard Edmond Rostand pour écrire son chef d’oeuvre : Cyrano de Bergerac. Mais que vient faire William Shakespeare dans cette galère ?