Marina Rebeka et Karine Deshayes triomphent et enflamment le Capitole de Toulouse dans une nouvelle production de Norma de Vincenzo Bellini, mise en scène par Anne Delbée. Pour ces deux cantatrices, ce fut un délire du public au moment du salut final.
Marina Rebecca a cet aplomb dans la voix. Elle tient ce rôle du début à la fin de l’ouvrage avec une ligne de chant belcantiste, allant du grave bien posé aux aigus percutants, tout en gardant cette fraicheur de timbre. Elle est à la fois par son jeu et sa voix, la vengeresse déterminée, la mère coupable et surtout l’amoureuse cachée. Sa confidente Karine Deshayes est Adalgisa. Elle a ce « je ne sais quoi » qui nous fait chavirer par son grain de voix, son velouté, sa puissance dans les aigus et ces phrasés dans les graves qui malgré un peu de perte de noirceur, nous envoutent. La communion de ces deux voix féminines est magique. Dans leurs duos, elles sont toujours reconnaissables dans les moindres détails. Du grand art.
Chez les hommes, nous restons un peu sur notre faim. Pollione en la personne de Airam Hernandez démarre au premier acte sur les chapeaux de roues, avec une puissance de voix, ensoleillée et très bien projetée. Les passages dans les tonalités plus aigues semblent rester un peu en arrière. La fatigue peut être. Prévu dans le second casting il a dû assurer toute la série. Ses quelques difficultés semblent passagères. C’est un grand ténor comme on les aime, généreux.
Tous les seconds rôles, par contre, semblent assez faibles et très en retrait physiquement et surtout vocalement.
Les chœurs du Capitole toujours au top de leur talent. C’est toujours une émotion de les écouter. L’Orchestre national du Capitole n’a fait qu’une bouchée de cette partition, grâce à la baguette subtile et magique tenue par le maestro Giampolo Bisanti.
Reste la mise en scène de Anne Delbée. Elle connait très bien l’histoire et toutes les légendes qui sont rapportées à cette période historique entre les gaulois et les romains. Cependant par moment il n’y a qu’elle qui s’y retrouve, car entre les surtitrages, et les symboles traditionnels disparus – les époux ne se jettent pas dans les flammes, il n’y a pas de gui, de gongs, d’armes, de morts… – et tous ceux qu’elle a rajoutés – on finit par s’y perdre. Est-ce grave ? Je ne pense pas. La musique parle d’elle même. Par contre, avoir ajouté des textes parlés, diffusés par hauts parleurs pendant l’ouverture musicale de l’œuvre et au cours du spectacle, je dis stop ! Si je vais à l’opéra c’est pour entendre de la musique, ce n’est pour écouter des textes, non voulu par l’auteur, masquant la musique. De plus ces textes étaient très mal dits comme si à Toulouse il n’y avait pas de comédien sachant articuler avec un timbre intéressant. On ne comprenait rien du tout. Il est curieux qu’un metteur prenne la liberté de nous priver de musique pour laisser la place à des textes parlés. C’est une trahison.
Jean-Claude Meymerit le 29 septembre 2019
PS : pendant tout le premier acte et dans d’autres scènes du spectacle, des projecteurs, dont un blanc super puissant, installés dans les cintres se reflétaient sur le praticable de scène en éblouissant le public placé dans les hauteurs. On ne pouvait pas distinguer les visages des protagonistes.
Pourquoi pas ! Ce n’est pas la première fois qu’un metteur en scène utilise la reconstitution scénique d’un théâtre dans une production lyrique. Ça provoque toujours son petit effet. Ce soir, à l’occasion de la présentation de l’unique opéra de Jacques Offenbach, les Contes d’Hoffmann, sur la scène du Grand Théâtre de Bordeaux, le très beau décor, fidèle à son modèle semble toutefois compliquer quelque peu la compréhension déjà très alambiquée de l’intrigue. La reconstitution du hall avec son grand escalier s’organise au fil des tableaux, comme un jeu de construction. Parfois cela fonctionne, d’autres fois l’imposant dispositif handicape fortement l’histoire et l’intensité dramatique de l’œuvre. Pourquoi ?
Déjà que l’histoire de cet opéra n’est pas des plus évidents, où s’entrecroisent les rêves, la fiction, la magie, la réalité, les travestis, les mélanges de personnages…Vincent Huguet a rajouté sa touche de complications, tout en voulant simplifier. Ce paradoxe en devient alors unique et très passionnant.
Le décor est tellement grandiose et beau qu’il ne doit servir que d’écrin à l’écoute. Le reste tant pis si on ne comprend pas toutes les subtilités et tous les détours dramatiques de l’œuvre. Le metteur en scène a fortement insisté sur l’allusion, voulue par Offenbach, d’une représentation de Don Giovanni, en plaçant toute l’oeuvre au Grand Théâtre, aussi bien vu des coulisses, de la salle, du bar et du hall d’entrée. On est immédiatement plongé dans cet univers. On y aperçoit les divers métiers d’un théâtre : les musiciens, les pompiers, les couturiers, les machinistes, les ouvreuses, etc. C’est intelligent mais malheureusement cela ne fonctionne pas toujours. C’est parfois même un peu tiré par les cheveux. C’est aussi l’œuvre qui veut ça. Elle est assez tarabiscotée.
Ce n’est pas Hofmann qui voit en la personne de la diva Stella, l’image de ses trois anciennes aventures amoureuses, mais c’est Stella – elle-même – cantatrice adulée qui chante ces trois opéras bien distincts – Olympia, Antonia et Guiletta – Elle interprète ces rôles sur la scène du Grand Théâtre reconstitué (en plus du Don Giovanni !). C’est là où tout se complique. Je ne sais pas si vous suivez ?
C’est cette différence entre vision et réalité qui crée l’ambiguïté dans la compréhension. Pour exemple : la poupée automate, vue par Hofmann, devient une chanteuse qui s’amuse en chantant et non une poupée automate chantante… Du coup cet acte, d’habitude si joyeux, tombe un peu à plat.
Par contre, à l’acte d’Antonia, avoir remplacé les flacons de poison par des partitions musicales est une trouvaille géniale. Combien d’agents d’artistes ou de directeurs de maisons lyriques font miroiter un avenir merveilleux à de jeunes chanteurs en leur proposant des prises de rôles au dessus de leurs moyens, ce qui les détruit dans les années qui suivent. Ce parallèle est remarquable.
Ayant vu cette production bordelaise deux fois coup sur coup, je pense qu’il ne faut pas chercher trop loin. Le public doit piocher dans cette immense fresque musicale, ce qu’il a envie d’entendre et de voir. Peu importe de savoir qui est qui, qui fait quoi. Sinon on passe son temps à essayer de tout comprendre et on zappe le principal qui est la musique, les voix et le plaisir des yeux.
Depuis le temps que je vois des Contes d’Hofmann sur diverses scènes lyriques, je ne me suis jamais cassé la tête à essayer de comprendre l’intrigue au mot à mot. C’est un opéra tellement complexe qu’il vaut mieux se laisser bercer par ce torrent d’airs, de mélodies magnifiques…qui varient en fonction des versions. Celle que nous applaudissons en ce moment au Grand Théâtre m’a fait découvrir de nouveaux airs et d’ensembles que je n’avais jamais encore entendu dans cette oeuvre.
Cette version choisie à Bordeaux de Kaye et de Keck est proposée par Marc Minkowski. Grâce à l’Orchestre national de l’Opéra, elle sonne en précision et brille en couleurs.
Les trois rôles féminins sont tenus par Jessica Pratt, que je ne connaissais pas très bien avant cette prestation. Comme souvent, lorsque les rôles sont chantés par la même interprète, quelques carences apparaissent dans chacun des personnages. C’est le cas. Me manquent certaines pirouettes et vocalises dans Olympia, un peu plus d’émotion vocale chez Antonia, et surtout un peu plus de couleurs graves chez Gulietta. Hofmann, c’est Adam Smith, un jeune ténor de la trentaine à la fougue et le physique du rôle. Avec quelques difficultés dans certains passages vers les aigus, de ce rôle écrasant, il sort de ses gonds pour nous offrir un jeune poète aux accents chaleureux et puissants. Ce chanteur par son charisme et son engagement vocal est à suivre. Vivement de le voir dans d’autres rôles ! Les diables de Nicolas Cavallier sont excellents comme ce que fait toujours cet immense chanteur dans tous les rôles qu’il aborde. Une voix plus sombre pour tous ces rôles de démons ? Non, car avoir une telle articulation et un jeu comme lui, ne nous privons pas de ses prestations uniques. Aude Extrémo dans Nicklausse – rôle que j’affectionne plus particulièrement – a toujours ce timbre envoûtant et prenant, avec une présence scénique altière et précise. Son air du second acte vaut à lui seul l’achat d’une place au spectacle.
Tous les seconds rôles sont sublimes. Quel plateau ! Une mention spéciale pour Marc Mauillon dans les quatre rôles de serviteurs, à la présence affirmée et la voix claire et très bien projetée. Une mention aussi à Christophe Mortagne dans Spalanzani, quelle précision ! N’oublions pas non plus le talentueux Eric Huchet et Jérôme Varnier à la voix chaude et sonore qui ne déçoit jamais son public..
Tout ce beau monde qui ne demandait qu’à s’éclater, s’est trouvé un peu corseté dans les griffes de Vincent Huguet et par l’architecture de notre très bel opéra qu’est le Grand Théâtre de Bordeaux.
Jean-claude Meymerit, 22 september 2019
Après son détonnant récital au Grand Théâtre de Bordeaux en mars dernier, (voir CR sur ce blog), Florian Sempey nous revient à Saint-Emilion dans le cadre du festival Vino Voce, avec un programme enivrant. Il a choisi comme fil conducteur les plaisirs du vin et la bonne chère. Prudemment, il attaque son récital avec trois poèmes de Francis Poulenc puis enchaîne avec une création, une mélodie écrite spécialement pour lui par Isabelle Aboulker à l’occasion de ses trente ans.
Vint ensuite sa magnifique interprétation du Poème de l’Amour et de la Mer d’Ernest Chausson. Quel dommage, pas en entier.
Après une mélodie alerte et patriotique en français de Richard Wagner, les Deux grenadiers, Florian Sempey nous entraîne dans un répertoire dans lequel il excelle au plus haut niveau, celui des barytons bouffes des Rossini et Donizetti. Ces airs sont écrits pour lui. On l’écouterait des heures. Il en a la fougue, le jeu théâtral, la stature et bien sûr la voix charnelle et puissante. A Saint-Emilion, les airs de l’Echelle de soie et de Don Pasquale furent des bijoux. Pourvu qu’il ne s’enferme toutefois pas trop vite dans ce répertoire ?
Je ne le pense pas, car quand on écoute ses airs d’Hamlet d’Ambroise Thomas et celui du Pardon de Ploërmel de Giacomo Meyerbeer, on espère vivement le voir rapidement en France dans ces rôles là. Que ses en, in, on… sont beaux. Du velours.
N’oublions pas de remercier et de féliciter les doigts de fées qui l’accompagnaient au piano : la grande Irène Kudela.
Avec Florian Sempez on est dans la fragilité, la sensualité, la fougue, le comique…le tout posé sur une parfaite diction avec une maîtrise de couleurs et une projection vocale, impressionnantes.
Levons notre verre et saluons ce magnifique baryton.
Jean-Claude Meymerit le 7 septembre 2019