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Archive pour mai 2019

Les voix de la Walkyrie fendent le ciel bordelais !

L’Opéra de Bordeaux, dans l’enceinte de son Auditorium, présente actuellement la Walkyrie de Richard Wagner. Depuis le temps que nous attendons que les volets du Ring refassent leur entrée à Bordeaux, nous y voilà.

Sauf erreur de ma part, la dernière fois que fut donnée la Walkyrie à Bordeaux, c’était au Grand Théâtre en janvier 1987 avec la grande Deborah Polaski dans Brünnhilde et Nadine Denize dans Fricka. Plus de trente ans après, c’est à l’Auditorium, prévue dans une mise en espace – dixit le programme – ou plutôt une mise en scène digne de ce nom avec de très belles images et des jeux scéniques assez exceptionnels. Bien sûr les gradins de la scène prévus pour les concerts symphoniques sont toujours omniprésents, bien sûr les décors ne sont que des panneaux mais la projection d’images psychédéliques suffit à créer l’intensité dramatique de cet opéra. D’autres immenses panneaux miroirs placés sur les côtés apportent une profondeur au tout en multipliant les angles de vues et les couleurs.  D’autres effets de lumière sont présents sur le sol des praticables. C’est beau et très efficace.

Les projections symbolisent la plupart des thèmes musicaux et dramatiques de l’opéra. On y trouve l’œil très coloré d’un loup pendant l’introduction musicale, les anneaux multiples en clin d’œil à la déesse du mariage, aux Nibelungen, au cercle de feu final… Deux scènes m’ont plus particulièrement intéressées : celle ou Fricka apparaît en fond pour confirmer à Hunding que sa demande est exaucée et celle de la scène finale où Wotan reste un instant assis sur le rocher auprès de sa fille endormie. Seule la projection du frêne aux couleurs bleu blanc rouge avec des formes de têtes-statues pendant que Siegmund arrache la lance m’a un peu gênée. Un peu meeting politique !…Tout ce travail précis de mise en scène, nous le devons à Julia Burbach.

Chez les chanteurs, un festival de décibels nous est offert mais pas n’importe quels décibels. Ils sont ceux qui nous émeuvent et nous enchantent, ceux nous transpercent le cœur et l’estomac et qui nous laissent sans voix. Le tout dans un écrin velouté d’émotions.

Cet écrin nous le devons surtout à l’Orchestre de Bordeaux Aquitaine sous la baguette magique de son chef Paul Daniel. Ses quatre heures wagnériennes nous baignent dans une onctuosité musicale époustouflante. Tout est précis, dentelé, pas d’étirage excessif et tintamarre de cuivres outranciers. Cet Orchestre à lui seul raconte l’histoire fleuve de cet opéra. C’est rare, surtout si je compare avec la production que je viens de voir tout récemment à deux reprises au San Carlo de Naples où l’orchestre a abusé de lenteurs excessives et de tintamarre des cuivres digne d’une fanfare. A Bordeaux, dans ce fleuve de douceur et de violence, des voix incroyables y trouvent place.

En tout premier, les huit Walkyries – élèves sorties tout juste du conservatoire de Bordeaux et chanteuses chevronnées – aux sonorités envoutantes et puissantes, , comment ne pas souhaiter devenir un héros de guerre tombé à la guerre et ravigoté entre les mains – ou plutôt leurs voix -. Le Hunding de Stephan Kocan a toutes les qualités du « méchant » prêt à tout et macho à souhait à la voix de basse profonde, nous fait presque peur. La Fricka de Aude Extrémo, peut être plus voix d’Erda que Fricka, à l‘allure altière de grande déesse, nous offre de magnifiques intonations colorées sorties des profondeurs de sa voix, aux contours envoutants. Evgeny Nikitin dans Wotan, impressionne toujours par sa stature physique et sa présence vocale (*). Très en forme il nous offre un Wotan de haut niveau. Avec Issachah Savage, qui m’a scotché tout récemment dans le Ariane à Naxos de Toulouse, a abordé Siegmund avec une simplicité et une humanité saisissante. Il aime Sieglinde et il le fait savoir par des passages vocaux suaves et engagés. Il fait d’une bouchée son « Wälse ». Sa soeur et son amante Sarah Cambidge est une découverte exceptionnelle. Son timbre nous transporte avec une  projection de voix particulièrement puissante et fruitée qui nous fait vibrer. Quelle voix ! Tout est beau. Si je garde pour la fin la Brünnhilde de Ingela Brimberg, c’est que j’ai une faiblesse pour ce type de voix. Après sa mémorable Elektra sur cette même scène il y a deux ans, elle nous revient rayonnante, énergique, Sa voix n’est jamais forcée, Elle interpelle chaque de coin de notre être et âme avec une voix d’acier aux contours moelleux. C’est une des meilleures Brünnhilde actuelles.

Ouvrons nos fenêtres, regardons le ciel, et écoutons, n’entendez vous pas les chevaux des Wakyries battre le ciel bordelais ?

Jean-Claude Meymerit, 17 mai 2019

(*) Au cours de la soirée du 20 mai, de nombreux spectateurs ont été bouleversés par la prestation du Wotan de Evgeny Ikitin. Ses « adieux à Brünnhilde » furent d’une émotion telle que larmes nous gagnaient. Un immense Wotan.