Magnifique production et éblouissante Sophie Koch ! Du grand art. Décidément le Capitole de Toulouse continue de nous séduire par sa programmation et le choix des protagonistes.
Sur sa scène, c’est dans un décor et des costumes blancs et noir étincèlements sous des lumières affirmées que nous assistons à l’unique opéra écrit par Paul Dukas, pas très connu du grand public. C’est à Stefano Poda que nous devons cette magie, c’est très chic et intelligent.
A part quelques passages écoutés à la volée par-ci par-là, c’est la première fois que je vois cet ouvrage sur scène.
Dans la distribution, j’ai été conquis par la percutante brochette de chanteuses dans les rôles des épouses de Barbe-Bleue. Elles ont une diction parfaite, des voix bien timbrées et surtout bien projetées. Dans les autres rôles féminins il ne faut pas oublier Janina Baechle dans le rôle de la nourrice, qui a chacune de ses apparitions nous charme par sa voix chaude et colorée.
Mais le grand « choK » vient de Sophie Koch. Même si chacune de ses apparitions sur de nombreuses scènes internationales sont des évènements, ce rôle d’Ariane semble avoir été écrit pour elle. Sa voix est en communion permanente avec l’écriture musicale de Dukas et chaque phrasé devient alors une promenade poétique. Elle chante chaque syllabe avec des colorations inouïes et une élégante diction. La projection de sa voix, de la note la plus grave à la note la plus aiguë est d’une beauté impressionnante avec ce timbre moiré si reconnaissable. Quel rôle ! Deux heures sur scène à chanter.
Vivement Kundry et bien d’autres rôles. On n’ose imaginer lesquels !
Jean-Claude Meymerit, le 7 avril 2019
Pour cette nouvelle production de Manon de Jules Massenet, Olivier Py a frappé fort. Nous sommes très loin de la petite place provinciale d’Amiens et de la modeste chambre parisienne des amoureux… Avec son approche, le metteur en scène nous projette immédiatement dans la ruelle d’un quartier chaud. – je ne pense pas qu’il s’agisse de la ville d’Amiens, ça se saurait - Les nombreux hôtels et les tripots aux néons multicolores nous interpellent. C’est grandiose et beau. Après deux lignes extraites du roman de l’Abbé Prévost dite par Des Grieux à l’ouverture du rideau – ou plutôt à l’ouverture du décor – nous sommes plongés dans cet univers de la prostitution et des jeux d’argent magnifiés par de magnifiques décors à la machinerie complexe bien huilée qu’affectionne notre metteur en scène. Je me souviens de son Tristan hallucinant à Angers, son Trouvère sombre de Munich, son Lohengrin imposant de Bruxelles…Chaque fois des visuels à couper le souffle.
Cette production de Manon a été créée à Genève en 2016 et a suscité quelques remous dans le public. Pour être très honnête, pour sa reprise bordelaise j’ai davantage été dérangé par la distribution que par la mise en scène qui se voulait un peu provocante mais assez percutante. Quelques contre-sens avec le livret m’ont gêné mais la force de la mise en scène efface tout. Cependant pour chanter Manon, il faut des voix. Malheureusement elles manquaient un peu à l’appel. A part le magnifique Des Grieux de Benjamin Bernheim qui possède tous les ingrédients souhaités. Il est jeune un peu amoureux gauche mais surtout il possède la voix idéale pour ce rôle. Quelle projection ! Sa voix claire et puissante nous transporte pour notre plus grand plaisir, dans une palette d’émotions éblouissante. Il y apporte toutes les nuances. Il est un grand Des Grieux.
Avec Lescaut, Le Comte Des Grieux, Poussette, Javotte, Rosette nous sommes dans une certaine tradition vocale irréprochable. C’est bien fait et efficace. Une mention spéciale toutefois pour le Guillot de Morfontaine qui s’impose fort bien vocalement et scéniquement.
Reste le cas du rôle titre. Pourquoi les maisons d’opéra continuent d’afficher dans ce rôle des voix trop légères. La mode est venue avec Nathaie Dessay à Genève en 2004. Étant dans la salle, je me souviens qu’elle était dépassée. Avec Nadine Sierra on n’y échappe pas et on n’est pas loin du même constat. Certes, elle possède des atouts immenses. Le timbre est envoûtant, les aigus francs et tenus, son jeu est vrai avec une classe omniprésente tout le long de l’ouvrage. Seulement est-ce la voix d’une Manon ? Qui se souvient de la fraîcheur de Freni dans ce rôle, de l’élégance vocale d’une Andréa Esposito, et surtout de la classe vocale absolue et physique de Renée Fleming sur la scène de l’Opéra de Paris ainsi que celle de Raina Kabaivanska entendue à Bilbao. A Bordeaux on ne peut pas non plus oublier Léontina Vaduva qui, dans ce rôle de Manon, fit sa première apparition en France. Notre Manon bordelaise actuelle manque de cette épaisseur et de voix lyrique sur toute la ligne de chant. Son manque de puissance fini par être un handicap pour l’oreille.
De plus, il me semble aussi que lorsqu’on se trouve face à un metteur en scène de la trempe de Py, il faut que les castings soient à la hauteur. Sinon les chanteurs sont noyés et paraissent encore plus fades. S’ils n’ont pas de fortes personnalités vocales et physiques, les décors, les éclairages et tous les jeux de mises en scènes finissent par prendre le dessus aux dépends des chanteurs.
Jean-Claude Meymerit, le 6 avril 2019
En sortant de la salle, les gens sont sous le choc : « je suis sans voix » dit une dame », « je ne peux pas parler, j’ai besoin de silence « dit une autre dame en s’adressant à son amie, « Eblouissant ! », « Grandiose ! », « Enfin une voix ! », « J’en ai la chair de poule »,…autant de mots qui jaillissent de toutes les bouches. Un public abasourdi par cette immense chanteuse.
Personnellement je ne la connaissais que par les vidéos et les retransmissions. J’étais déjà un inconditionnel.
A l’occasion de ce splendide récital, ce n’est pas l’Opéra de Bordeaux qui la recevait mais c’est elle qui nous « invitait » chez elle dans son écrin. Elle adapte sa voix à tous les contours dorés de la salle, elle s’adresse à chacun de nous en regardant régulièrement le public de gauche à droite et de bas en haut de la salle. Quel immense respect pour ses « invités ». Ne parlons pas de sa voix. Elle est immense, maitrisée dans toute la palette de couleurs et de nuances. Du murmure aux notes les plus aiguës, elle chante. Sa voix solaire et radieuse nous envoûte. A tout cela Sonia Radvanovsky possède une étonnante qualité, un peu trop souvent oubliée dans l’enseignement lyrique, je veux parler de la projection de la voix. Quel modèle pour tous les chanteurs en herbe qui le plus souvent chantent pour leur nombril ou leurs chaussures.
Après une suite de morceaux allant de Caccini à Verdi en passant par Scarlatti, Gluck, Durante, Bellini, Donizetti, Rossini et Puccini, elle nous offre en bis quatre autres airs dont un extrait d’Adrienna Lecouvreur de Cilea, qui chavire la salle.
Pour ce récital mémorable, il ne faut pas oublier son accompagnateur pianiste, Anthony Manoli, qui ne fait, avec virtuosité et complicité, qu’une bouchée de toutes les partitions.
Merci Madame de nous avoir reçu avec autant d’amour !
Nota : Comme je l’ai déjà évoqué très largement dans mon dernier papier sur le récital de Bryn Terfel, une fois de plus ce soir il faut avaler les baratins interminables en anglais de Sonia Radvanovsky entre certains morceaux musicaux. J’en ai marre et c’est insupportable. Pensez à ceux qui ne comprennent pas l’anglais. Thank you !
Jean-Claude Meymerit, le 31 mars 2019.