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Archive pour avril 2018

Au Capitole de Toulouse : ô, ma Carmen adorée !

Depuis de très nombreuses années, ô, combien de Carmen, de Don José, de Micaëla, d’Escamillo …dans mes oreilles ! Il faut savoir qu’à une certaine époque, rien qu’au Grand Théâtre de Bordeaux, l’opéra de Bizet se donnait, une à deux fois par saison lyrique, avec des distributions toujours différentes. C’est ainsi que nous y avons vu et entendu de la plus vulgaire à la plus sophistiquée des Carmen, du plus précieux au plus « bourrin » des Don José, de la plus engagée à la plus mièvre des Micaëla, du plus insipide au plus hargneux des Escamillo. Je ne parle pas des voix de certains chanteurs et chanteuses qui ont suscité dans le passé et ces dernières années des tonnerres d’applaudissements pour certains et des broncas pour d’autres. Ovation à l’époque pour une certaine Viorica Cortez dans Carmen, un certain Ernest Blanc dans Escamillo et une certaine Michèle Besse dans Micaëla. Des rires dans la salle pour une Carmen scéniquement vulgaire à souhait et pourvue d’une voix très laide, ou plus récemment un certain Escamillo qui ayant dû se tromper de rôle et qui face aux huées, a tout abandonné dès le lendemain, etc . C’est ça aussi l’Art lyrique, avec ses hauts et bas.

Par contre, ce dimanche à Toulouse, ovation spontanée pour toute la production, du plus petit rôle à l’héroïne principale. Quel plateau ! Tous les seconds rôles portent les personnages avec l’énergie et le chant souhaités. Très beau succès à tous. Pour illustration, je ne citerai que le personnage qui passe souvent inaperçu, Lilas Pastia. Celui de Toulouse, imposant et omniprésent grâce à Frank T’Hézan ne s’oublie pas. Et pourtant ce rôle n’a rien d’extraordinaire…Comme quoi le moindre petit rôle a une importance capitale dans l’équilibre d’une production. Lorsque sont affichés Luca Lombardo en Remendado, Olivier Grand en Dancaire, Marion Lebègue en Mercédes, Charlotte en Frasquita, Anas Seguin en Morales et Christian Tréguier en Zuniga, la magie opère.

Dimitry Ivashchenko dans Escamillo a la prestance imposante d’un gagneur macho avec de très belles nuances vocales. Anaïs Constant dans Micaëla, même si elle manque encore un peu de « niaque » vocale, nous a offert son air avec les notes graves que j’adore et qui me semblent indispensables, posées sur le « mais je ne veux pas avoir peur… ». C’est rare de nos jours ! Notre Don José est Charles Castronovo qui a su rester dans le cadre de son personnage aussi bien scéniquement que vocalement entre indifférent, repenti, amoureux transis, amoureux fougueux. Un très beau Don José.

Dans le rôle titre, une Carmen que je chéris plus particulièrement, Clémentine  Margaine. J’ai eu la chance de la découvrir au tout début de sa carrière, au Deutsche Oper de Berlin en 2013, où elle était en troupe sédentaire, dans Maddalena de Rigoletto et dans Carmen. Actuellement, elle triomphe sur la scène internationale dans de grands rôles : Carmen, Dalila, Anna des Troyens, Marguerite de la Damnation de Faust, Léonor de la Favorite…Sa Carmen de Toulouse possède toujours ces incroyables graves d’une beauté charnelle et d’une puissance insolente.

L’Orchestre national du Capitole, placé sous la direction d’Andrea Molino, le Choeur du Capitole, toujours au sommet du chant lyrique français, et la Maîtrise du Capitole ont reçu l’ovation très justifiée. Un mot sur la mise en scène Jean-Louis Grinda que j’ai adorée. Simple, moderne et traditionnelle à la fois, efficace, esthétique… autant de mots que nous aimerions apposer un peu plus souvent sur d’autres ouvrages présentés sur les scènes lyriques. Son clin d’oeil aux oeuvres de Richard Serra exposées au Guggenheim de Bilbao est saisissant.

Mon seul regret dans cette production, est le choix de la version « opéra comique » avec dialogues parlés. J’en ai marre de ces versions avec ces dialogues plus ou moins longs, triturés à en être ridicules à souhait. Comme souvent ces textes sont très mal dis avec des voix inaudibles ou désagréables. Au Capitole, les phrases sont interminables. Elles coupent toute l’action et l’émotion. Je suis un inconditionnel de la version « Guiraud ». Avec elle, l’œuvre est limpide, on ne se perd pas dans des considérations inutiles appelant même à sourire tellement ces dialogues sont stupides. Avec les récitatifs de Guiraud, Carmen devient alors un immense fleuve dramatique musical. C’est mon choix !

Jean-Claude Meymerit, dimanche 15 avril 2018

 

 



Lucia di Lammermoor au Grand Théâtre de Bordeaux : une double vision !

( Non classé )

En changeant de place entre les deux parties de l’ouvrage, j’ai eu l’impression d’avoir assisté à deux versions de l’œuvre de Gaetano Donizetti.

Pendant toute la première partie (actes 1 et 2) je ne pouvais pas lire le surtitreur, ce qui en soi ne me dérange pas et me plait même beaucoup mieux. Ce qui se déroulait sous mes yeux ressemblait plus à un grand déballage de vide grenier à faire pâlir les brocanteurs de la place des Quinconces de Bordeaux, qu’à un palais écossais du 17°. Les chanteurs, choristes et figurants arpentent cet amoncellement de meubles, les déplacent les font tomber… leur donnant ainsi presque une existence corporelle. De splendides lumières de Fabio Barettin soutiennent énergiquement tout cet ensemble. Très spectaculaire. A l’aise dans le visuel de ce capharnaüm, j’y ai pioché tous les éléments souhaités, à mon rythme et mon choix avec les références que j’avais sur l’œuvre.

Pendant la seconde partie (acte 3), je pouvais lire les surtitrages – si j’ai changé de place, c’est simple : j’en avais assez de tous ces gens autour de moi, qui passaient leurs mails et leurs SMS pendant le spectacle tout en commentant leur envois ou qui gesticulaient outrancièrement, pour essayer de capter une syllabe par ci-par là sur le surtitreur –  Insupportable !

A ma nouvelle place, ne pouvant pas échapper cette fois-ci au surtitreur, tout mon univers de rêverie, de fantasmes s’envolait. J’avais sous mes yeux des doubles lectures, des images télécommandées, mon imaginaire s’était évaporé. Ce constat est dû à la mise en scène de Francesco Micheli, foisonnante d’idées et de détails qui à eux seuls suffisent à la compréhension. Esthétiquement j’ai adoré cette production. Ces meubles descendants des cintres, ces levers de la toile de fond de scène cachant ou laissant apparaître les chœurs, la scène de la folie avec cette immense table et les verres de vin rouge – allias le sang d’Arturo – remplis à différentes hauteurs donnaient l’illusion d’être devant un harmonica de verre souhaité par Donizetti, pour cet air de la folie. Le dernier tableau de l’œuvre, lorsque Edgardo se trouve dans le cimetière de ses aïeuls, au milieu de tous ces corps de choristes hommes allongés et alignés sur le sol, est d’une force inouïe et frappe l’esprit. Cette mise en scène est digne de grandes scènes lyriques.

Seulement, avec le surtitrage nous avons l’impression que nous, public, sommes incultes ou stupides. Aussi, trop de placages entre les paroles du surtitreur et ce que nous voyons sur scène, est insupportable. Dans cette production, c’est en effet trop souvent le cas. Pouvons-nous laisser partir notre imaginaire et nos émotions lorsqu’on est toujours en train de tout vous expliquer ou de vous donner la main ? Non ! Cet opéra n’a pas non plus un livret à vous donner des insomnies.

Un petit mot sur les chanteurs. Dommage que l’interprétation ne soit pas à la hauteur de l’ambition de la production. Autour de la composition originale et efficace du « flash back » voulu par le metteur en scène, du magnifique Florian Sempey dans le rôle d’Enrico ainsi que l’imposant Raimondo en la personne de Jean Teitgen, j’ai eu quelques difficultés à apprécier le Edgardo de Julien Behr. Son premier acte fut laborieux et son dernier guère mieux. Pour Lucia, malgré la beauté de son chant bien fait, je n’ai pas trouvé en elle ce quelque chose qui émerveille et qui émeut. C’est beau et bien et alors ? Il est vrai que cette œuvre est encore dans le giron de l’époque dit Bel canto, mais après avoir vu et écouter sur scène des Mosuc, Dessay, Anderson, et surtout Damrau, Georgia Jarman me semble un peu pâlotte. Les autres artistes de cette production bordelaise campent leurs personnages avec beaucoup d’intentions vocales et physiques.

Un grand bravo aux artistes du Choeur de l’Opéra national de Bordeaux toujours au top et aux lumineuses sonorités et à leur investissement dans tous les nombreux jeux de scène souhaités par le metteur en scène. Bravo aussi à l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine, qui, placé ce soir sous la Direction de Pierre Dumoussaud, nous séduit comme à l’accoutumée par sa précision et son respect du public, sachant s’adapter à l’acoustique du Grand Théâtre comme dans un gant de soie.

Jean-Claude Meymerit

Nota : comme à l’accoutumée, j’aime bien revoir la même production plusieurs fois de suite afin d’en savourer les modifications éventuelles de jeu et de mise en scène et surtout apprécier l’évolution des voix etc.. En cette dernière de hier au soir 11 avril par rapport à celle du 5 avril dernier, rien n’a bougé. Assez étonnant. Les faiblesses sont toujours au rendez-vous. On ne peut pas parler de fatigue mais de voix non adaptées à certaines de ces rôles.

Pour l’anecdote, j’ai aperçu hier au soir un petit détail qui m’a fait beaucoup rire. Pour son air de la folie, Lucia avait sur l’avant bras droit un morceau de sparadra. La pauvre pensas-je ! C’est elle qui trucide son promis à coups de couteau et c’est elle qui a un petit pansement d’une blessure à l’avant bras ! C’est tout, mais ça me fait beaucoup rire ! Surtout que le metteur en scène la fait arriver de la chambre sans une goutte de sang sur la robe…