« Excusez-moi Monsieur, y a t-il un coin mercerie dans le magasin » ?
Au regard ahuri du caissier de cette enseigne commercial à la célèbre voyelle, venant d’enregistrer ma question, je compris rapidement que quelque chose ne fonctionnait pas. D’où venait ces quelques secondes de panique dans chacun de nos deux cerveaux ? Avais-je demandé une chose odieuse, insolente ? M’étais-je trompé de nom ?
Je repris mon souffle et je repose ma question « y a t-il un coin mercerie dans le magasin ? ». Le vendeur me demanda ce que je veux dire « mercerie. » Après lui avoir presque donné par cœur, à une voyelle près, la définition du Larousse, il m’avoua qu’il ne connaissait pas ce mot et m’indiqua toutefois le chemin à prendre dans le magasin, vers un tout petit rayon coincé entre les yaourts et les aliments pour chiens. Peu importe j’avais trouvé mon bonheur.
Au passage à sa caisse avec mes aiguilles et boutons, j’imaginais : et si à sa même place de caissier, ce même jeune homme m’avait demandé ce qu’est un corner à la rémoise – moi qui est toujours pensé que c’était un gâteau à la crème que l’on servait aux joueurs de foot lorsqu’ils avaient marqué un but – je l’aurais envoyé au rayon pâtisserie de cet enseigne !
Quel bonheur de revoir cet Hérodiade de Jules Massenet, disparu des affiches lyriques depuis les années 70 !
Après de nombreuses mises en scènes d’opéras, vues dans diverses salles, en décalage absurde et à grands coups financiers avec les deniers publics, n’apportant rien à un public fidèle et encore moins à un nouveau public, Marseille ose le grand opéra français avec une distribution quasi 100% française dans une mise en scène sobre, belle et efficace.
Tous les ingrédients sont réunis pour retrouver les héros de cet opéra, oubliés depuis des décennies.
Un décor unique orné d’immenses cierges design, disposés différemment au fil des actes avec quelques projections vidéos de fond sont magnifiques et profondément évocatrices : le ciel étoilé pendant le monologue de Phanuel est magique et le mur de Jérusalem planté de clous saignants pendant la scène finale est sublime. Jean-Louis Pichon, réputé pour être un homme respectueux des œuvres nous offre avec cette production un bel exemple de mise en scène porteuse d’efficacité et de beauté.
Cet ouvrage de Massenet, comprend des passages musicaux somptueux aux leitmotivs à la Wagner. Comme un catalogue qui se feuillette devant nous, chaque air, duo, ensemble, page musicale..toutes les voix sont sollicitées au maximum surtout dominées par les trois chanteurs hommes avec en prime la classe légendaire de Jean-François Lapointe en Hérode, la force vocale de Nicolas Courgal en Phanuel, l’engagement vocal et la beauté du timbre de Florian Laconi en Jean. La diction de ces trois chanteurs est impeccable, pas besoin de surtitreur. On ne pas en dire autant des deux chanteuses, Inva Mula et Béatrice Uria-Monzon. Est-il difficile de prononcer « a » au lieu de « aou » ou « in » au lieu de « ouin » ? C’est incroyable que personne ne puisse persuader les chanteurs français de travailler leur diction surtout lorsqu’ils chantent des œuvres en langue de leur pays. Béatrice Uria-Monzon, avec sa puissance dans les aigus et son magnifique port altier de reine, est une imposante Hérodiade. Par contre, je ne suis pas sûr que le rôle de Salomé soit idéal à ce stade de la carrière d’Inva Mula. N’est-ce pas trop tard ? Parmi les autres seconds rôles je n’ai retenu que les quelques phrases chantées en coulisses par Christophe Berry. Du très beau chant. Dommage qu’un imbécile dans la salle l’ait hué au salut final car même si cet énergumène l’a confondu avec le metteur en scène (c’est ce que je présume !) son geste a déstabilisé le chanteur au moment du salut.
L’Orchestre de Marseille, dirigé par Victorien Vanoosten, en symbiose totale avec le plateau, est royal. Il a reçu l’ovation méritée, comme le Chœur de l’Opéra aux sonorités exceptionnelles.
Si j’ai personnellement beaucoup apprécié ce spectacle, je suis un peu déçu du public marseillais. Pas un seul rappel. Le rideau est tombé aussitôt que tous les protagonistes ont eu fini de saluer individuellement. C’est chiche ! Il faut dire aussi que la salle était fortement clairsemée. Dommage !
Pendant les 700 kms qui me séparent de Bordeaux, j’ai eu le temps de me remémorer tous ces spectacles d’opéras qui faisaient d’antan les beaux soirs des théâtres lyriques nationaux, comme Hérodiade, Sigurd, la Juive, l’Africaine…
Jean-Claude Meymerit