Depuis quelques temps, je remarque que les gens aiment de plus en plus faire la queue et pas n’importe quelle queue : bien alignés les uns derrière les autres, deux par deux. Etonnant !
Quelle est cette nouvelle tendance branchouillarde bordelaise ?
Pour exemple, il est difficile de ne pas évoquer la queue la plus célèbre de Bordeaux, je veux parler de celle du restaurant « l’Entrecôte », celle que tout le monde connaît, pratique et aime (pas moi). Peu importe le temps, qu’il soit caniculaire, pluvieux, hivernal, ce n’est pas tellement la viande et à sa sauce qui comptent pour tous ces queutards, mais la longueur de la queue et le temps d’attente. Parlez-en avec vos amis, c’est ce qu’ils évoquent en tout premier avant de vous parler de la qualité de la viande.
Pour en revenir à mes moutons, au vrai sens du terme, je veux surtout vous parler de l’arrivée d’une nouvelle queue, celle qui se forme systématiquement pour un oui ou pour un non, au Grand Théâtre de Bordeaux. En effet, est-ce l’influence en ces périodes de fêtes de fin d’année de faire la queue partout et n’importe où qui conditionne les gens, mais ce qui est spectaculaire, c’est que les queues sont de plus en plus longues et étroites. Il faut se mettre par deux de préférence les uns derrière les autres. Lorsque vous êtes seul vous êtes obligé de vous prendre un partenaire de queue. C’est ce qu’on appelle de la cohésion sociale sans subvention publique !!! Au Grand Théâtre, et c’est surtout la l’objet de mon propos, la situation est à mourir de rire.
Dehors sous la pluie, face à l’entrée principale, alors que les places sont numérotés, les gens attendent deux par deux et commence à former une colonne bien droite (ici, employer le mot queue serai déplacé) sur le parvis dallé de la place de la Comédie. Curieux ! Au lieu de se promener, ou tout simplement se mettre à l’abri sous le péristyle du Grand Théâtre.
Un quart d’heure avant l’ouverture des portes, les amoureux de la queue préfèrent s’aligner immobiles et attendre bien face à l’entrée. A l’heure dite, c’est à dire 3/4 d’heure avant le lever de rideau, la porte centrale s’ouvre. Après le passage au compte-gouttes et obligatoire du contrôle vigipirate, ces mêmes personnes reforment des files d’attentes face au 3 entrées d’accès à la salle toujours deux par deux, face au cordon d’entrée. A peine croyable ce moutonnage. Qui leur demande ? Personne ! Ils sont là plantés à ne rien faire. Le plus drôle est que la forme de ces trois queues, pour garder l’expression choisie volontairement dans ce texte, se fabrique anarchiquement. Ces queues, au bout d’un moment, arrivent à se mettre en spirales et à se croiser, dans le hall d’entrée, de manière assez curieuse. Vous êtes-vous déjà trouvé prisonnier d’un noeud de queues. Moi oui ce soir, j’ai failli manquer d’air. Au lieu de visiter le hall, regarder les sculptures, lire les prospectus, de se promener, non, ils attendent par deux que les portes de la salle s’ouvrent. Lorsque celles ci s’ouvrent, il faut savoir que nous sommes encore à 30 minutes du début du spectacle. Etonnant ce besoin de queue !
Que l’on fasse la queue pour obtenir ou voir quelque chose de rare, ou faire la queue pour un évènement aux places limitées pourquoi pas, bien sûr, mais se rendre dans un théâtre où les places sont numérotées avec autant de temps avant l’ouverture et se mettre les uns derrière les autres par deux et attendre bêtement, je me pose plein de questions.
Quelque chose à craquer dans le comportement de tous ces homo sapiens se rendant au Grand Théâtre. Dans les couloirs, on parle de nouveau public qui n’a pas les repères de ce lieu, de nouveau comportement moutonnage style cinéma, de nouveaux consommateurs de la culture, etc… Qui sont-ils ?
Dernièrement, il y a eu une queue qui s’est formée spontanément de l’entrée principale du Grand Théâtre, à l’entrée du quai de la station tram « grand théâtre » en contournant les rails par l’extérieur. Et après ça on dit que le français n’est pas discipliné ! Surtout lorsqu’on ne lui demande et impose rien. Un comble !
Nota : lire un autre feuillet sur ce sujet intitulé dans Anecdotes : Festival de queues à la sauce de poule en tutu !
C’est cet air qu’aurait pu chanter le Méphisto de Gounod après avoir vu hier au soir au TNBA de Bordeaux, l’assemblage de deux pièces de Eugène Labiche, intitulé « Les Animals ».
J’avais parié avec des amis que j’allais voir et entendre une nouvelle fois, les quatre ingrédients, quasi familiers à toutes les productions de ce théâtre national, à savoir : utilisation de micros, musique amplifiée, gesticulations intempestives et nus gratuits. J’ai failli gagner mon pari. Je n’ai eu droit qu’aux deux derniers ingrédients, c’est à dire gesticulations et nus. Et la j’en ai eu pour mon argent (ou plutôt celui de l’Etat). J’entends déjà dans les chaumières: « c’est un vieux con, il ne comprend rien ! »… J’ai presque envie de répondre à cette éventuelle attaque : « ce n’est pas parce qu’on est simple public qu’on est taré et inculte ». Pourquoi, ceux qui nous proposent ce genre de spectacle outrancier et ennuyeux, avec toujours les mêmes ingrédients, seraient au dessus de la mêlée en se permettant de vouloir nous faire tout avaler ?
Monter des pièces de Labiche en 2016, c’est osé et en même temps assez branchouillard. Tout le monde sait que le génie de Labiche est d’être un auteur traitant à la fois des sujets sociétaux de l’époque sur toile de fond de vaudeville et un faiseur d’effets comiques, le tout agrémenté de parties chantées et d’apartés qui en font sa signature et sa force. Cependant, transformer une pièce de Labiche en une grosse farce est une ineptie.
Lorsque qu’on assiste à des représentations de pièces de Labiche montées dans une certaine tradition modernisée, on se régale, on rit franchement, c’est du champagne. Par contre, en venant ce soir au TNBA, découvrir ces deux pièces que je connaissais très mal « La dame au petit chien » et « Un mouton à l’entresol », on désenchante. Je pensais de toute évidence (et heureusement) assister à une production dépoussiérée, mais pas avec un tel étalage d’excentricités et d’effets qui nuit et masque le texte et l’intention de la pièce.
Quel ennui ! C’est long ! Le public ne rit pas, il est tout juste poli. Le salut final enthousiaste envers les comédiens, en témoignage.
J’en ai assez de tous ces metteurs en scène qui croient faire du nouveau ou de la création en proposant ce genre de spectacle. C’est l’inverse qui se produit. Il ne font que prendre un texte de prétexte et fabrique sur lui, leur délire égoïste.
Lorsqu’on compare avec les mises en scène de Laurent Laffargue il n’y a pas photo. Ce dernier modernise, apporte sa propre signature, mais surtout respecte à 100% le texte et surtout l’auteur (on se souvient de son récent Marivaux). C’est un véritable serviteur du théâtre. Ce n’est pas un parasite ou un profiteur.
Dans « les Animals », les gesticulations outrancières des comédiens voulues par le metteur en scène n’apportent rien, malgré leur talent et leur présence scénique. On ne regarde que ça et elles parasitent l’écoute du texte. Je passe volontairement rapidement sur les sexes à l’air de nos trois héros masculins et d’un des deux comédiennes. Je n’ai pas de mot pour parler de cette excentricité gratuite et inutile présentée. Le nu doit être beau, intelligent et justifié. Lorsqu’un metteur en scène sait pourquoi il le met sur scène (pour mémoire le nu dans Equus, les nus dans les Indes Galantes etc…), c’est un réel plaisir artistique.
Après le nu intégral de Michel Fau dans le dernier spectacle du TNBA, nous voici hier au soir encore avec une brochette de sexes libres. Vivement les prochains spectacles, j’espère y voir Don Juan, Figaro, Rodrigue, Chimène…nus, avec des micros, de la fumée, des gesticulations…Tous les spectateurs ne sont pas aussi sévères que moi, à en croire par l’hystérie de mes voisins de derrière, qui à chaque vision de sexe baladeur, riaient aux éclats ! Souvenirs, souvenirs… !
Même, si au fil des années, le rire évolue et que le public ne rit plus de la manière sur les mêmes choses et situations, je ne pense pas du tout que ce soit en montrant ce genre de répertoire sous une tonne d’ingrédients inutiles, sous prétexte de le « relever », que l’on va forcément le redécouvrir et l’apprécier. Depuis quand, une entrecôte peut-elle rester savoureuse à sa juste valeur gustative, si elle est chargée de sauces diverses et autres accommodements culinaires ?
Jean-Claude Meymerit
Du jamais vu ! Les spectateurs penchés en avant sur leur fauteuil, des larmes aux yeux chez certains, tous écoutaient avec leurs oreilles et leurs yeux ce célèbre Boléro de Maurice Ravel, super connu et popularisé. Pourquoi ce soir, une telle tétanisation chez le public ? Je pense que cela vient de deux phénomènes : le premier est l’ordre de passage d’interprétation des oeuvres et le second est la main à la fois de fer et de velours de Paul Daniel avec laquelle il dirige l’Orchestre national de Bordeaux-Aquitaine.
La soirée commence avec l’Heure espagnole du même Ravel interprétée par quelques joyeux drilles du lyrique français que nous aimons tous, je veux citer en particulier, Karine Deshayes, Yan Beuron, Paul Gay et Florian Sempey. Bien sûr qu’il manquait la mise en scène et tous ces claquements de portes de pendules, des montées et descentes dans les escaliers etc. C’est tout de même une comédie musicale et comme toutes les comédies c’est surtout le visuel qui l’emporte. Dans la version de ce soir en version concert (hélas !), on ressent nettement ce manque surtout que les parties musicales vocales ne sont pas à tomber à la renverse. Nos chanteurs français ont prouvé une fois de plus qu’ils existaient et que les scènes françaises et internationales, pour le répertoire français, devraient se les arracher.
Suite à cette Heure espagnole, était inscrit Iberia de Claude Debussy. Dans cette œuvre orchestrale, on sent déjà pleinement la main mise de Paul Daniel sur cet immense Orchestre. Cet Orchestre national n’a rien à envier aux plus grands orchestres du monde mais au contraire ceux-ci devrait le copier. Les musiciens, pour la plupart assez jeunes, jouent avec fougue et autorité. Leur bonheur se voit et surtout s’entend.
Pour la dernière œuvre de la soirée, le Boléro de Ravel. Je me disais, « encore ce Boléro tellement joué et rejoué. Quoique quinze minutes c’est vite passé. » Paul Daniel, avec son jeune tambour à quelques centimètres de lui, lance la machine infernale (la honte pour la personne qui a toussé au même moment !).
La déferlante est partie, les instruments décollent ? Chaque musicien veut être le meilleur et donner son maximum. Ils n’existent plus que pour leur instrument et nous faire partager leur joie. Chaque sonorité entrant dans l’arène, s’arrache de leur instrument, racle le sol, les murs, nos yeux, nos oreilles comme pour nous arracher le cœur. Wouah ! Au rythme du Boléro, les poils de notre corps se hérissent, le cœur tape, les émotions montent. Sur scène, plus on avance dans l’oeuvre, plus, les corps des musiciens bougent un peu plus, les mains s’animent – je pense surtout aux doigts des cordes qui remplaçant leur archet forment un petit ballet – Je suis incapable de citer tous les instruments, leur nombre est impressionnant. L’ONBA au grand complet. Dans la salle les corps des auditeurs commencent à se pencher de plus en plus en avant, les souffles sont coupés, les larmes sont au niveau des yeux, puis sur l’apothéose finale du Boléro, l’ovation et les larmes coulent. Du jamais vu…et entendu !
Paul Daniel et tous les musiciens de ce fabuleux Orchestre, vous êtes des fabricants d’émotions collectives. Une véritable communion s’est établie ce soir dans l’Auditoruim de Bordeaux. C’est ça le génie des vrais Artistes !
Jean-Claude Meymerit
Nota : une petite anecdote à l’entrée de l’Auditorium : un monsieur attendait dans la file d’attente pour l’achat de places. Il demande à une dame, à quelle heure ouvre le guichet ? combien de temps dure le spectacle , y a t-il des bonnes places ? etc…Un grand moment de silence, puis il demande à la même dame : « qu’est ce qu’il y a comme spectacle ce soir ? ». réponse « du Ravel ». Voilà une chose expédiée !