Cette production de la Damnation de Faust d’Hector Berlioz donnée à l’Auditorium de Bordeaux en version concert nous entraîne, dès les premières mesures, vers les voûtes célestes de l’enchantement. C’est splendide !
Quoi demander de mieux à un orchestre et à des chœurs pour interpréter Berlioz. Tout n’est que précision, velouté, férocité, rêverie, émotion…Paul Daniel, à la tête de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine, a tout compris : la musique de Berlioz doit être vibrante et habitée. Cette fougue il a su la partager avec l’ensemble des chœurs et principalement celui des hommes. Ce dernier était, à l’occasion, composé du Choeur de l’Opéra de Bordeaux et de celui de l’Armée française. Leur chant a envahi le moindre recoin de la salle. L’interprétation toute en délicatesse des femmes du Choeur de l’Opéra et celle des enfants de la Jeune Académie Vocale d’Aquitaine n’a fait qu’appuyer cet engagement musical.
Trois scènes lyriques françaises affichent Tristan et Isolde de Richard Wagner. Le Théâtre du Capitole de Toulouse ce début février, l’Opéra du Rhin de Strasbourg fin mars ainsi que l’Opéra de Bordeaux. En attendant de faire une étude comparative de ces trois productions ou de faire des pronostics sur quelle est la meilleure (orchestre, mise en scène, voix), j’ai déjà ma petite idée, mais attendons de voir ces trois productions.
Ce dimanche après midi, direction Toulouse. C’est une reprise de la mise en scène de Nicolas Joël de 2007. Elle mettait à l’époque en vedette, Janice Baird, chanteuse fétiche du Capitole ? Sa voix et son physique nous laissaient chaque fois sous le charme. Son costume de scène était aussi assez spectaculaire. Seulement les cantatrices se suivent et ne se ressemblent pas. Élisabete Matos que nous venons d’entendre et de voir, m’a laissé de marbre. Combien ai-je vu d’Isolde de ce style qui ne font que chanter la partition et encore…. Le tout sans émotion aussi bien vocalement que physiquement. Son air final a même été un peu laborieux. Une fois qu’on a savouré à plusieurs reprises des Waltraud Meier, des Nina Stemme, des Janice Bair…la plupart des autres cantatrices nous semblent fades (attendons Strasbourg et Bordeaux).
Habité par son rôle, Hans-Peter Koening se transforme ici en bon roi Marke. Il est émouvant. Aucun signe extérieur de violence dans les scènes de jalousie. On a même un peu pitié pour lui. Sa bonhomie en fait un bon roi que l’on voudrait aider et aimer. Le bronze de sa voix est toujours un bonheur de l’écouter. Stefan Heidemann était Kurwenal, jouant le dévouement à son maître jusqu’au bout des ongles. Emouvant. Belle voix chaleureuse et timbrée. Notre jeune bordelais Thomas Dolié dans le très court rôle de Melot fait grande impression par ses quelques phrasés. C’est très beau et puissant. Quel dommage qu’il soit fagoté curieusement. Son costume semble avoir été emprunté à quelqu’un d’autre.
Reste les deux derniers personnages Tristan et Brangäne. Du très haut vol. Que c’est somptueux ! « L’appel de Brangäne » de Daniela Sindran, à genoux. De plus, elle est très belle. Grande silhouette élégante, sachant se mouvoir magnifiquement. C’est une des plus grande Brangäne actuelle. Pour conclure cette première appréciation du Tristan de Toulouse, n’oublions pas le resplendissant Robert Dean Smith. Il est Tristan. Peut-on faire mieux aujourd’hui ? Son jeu théâtral est précis et beau. D’une puissance incisive inouïe, sa voix est envoûtante. On se délecte sur toutes ses notes, du grand art. Son 3ème acte est un moment sublime. Avec ces deux chanteurs précités, l’ouvrage devrait s’appeler Tristan et Brangäne.
Pourtant très bien placé dans la salle, j’ai été un peu frustré par la prestation de l’orchestre. J’ai trouvé certains passages assez secs même si le chef Claus Peter Flor, à la tête de l’Orchestre national du Capitole, a su parfaitement maîtriser cette masse orchestrale au volume de la salle. Je garde pour la fin mes plus grandes réserves sur la mise en scène. En plus des points déjà évoqués précédemment dans le texte, globalement j’ai été déçu par cette reprise de Nicolas Joël. A part, le 1er acte esthétiquement assez beau (tout au moins vu de haut) le second est hideux surtout lorsque le ciel étoilé disparaît brutalement. Le troisième est aussi assez laid. On a l’impression que les lumières sont en grève.Comme la scène est tout le temps nue, voir tous les défauts des praticables et des toiles de tissus fortement éclairés par des lumières crues n’a rien de passionnant. La magie du rêve n’opère plus. Tous les protagonistes chantent pratiquement toujours immobiles en avant scène sur la pointe du plateau qui avance sur la fosse d’orchestre. Ce côté statique ne me dérange absolument pas, surtout pour une œuvre comme celle-ci, mais il faudrait que le tout soit un peu plus esthétique (par jeu d’acteurs et lumières). Souvenons-nous des magnifiques mises en scène de Wieland Wagner à Bayreuth avec ses plateaux entièrement nus. Quelle efficacité et beauté.
La suite de ce texte dans quelques semaines avec le Tristan de Strasbourg et de Bordeaux. Suspense !
Jean-Claude Meymerit