Depuis ses débuts sur scène, je fais partie des admirateurs de Natalie Dessay en la suivant un peu partout en France, Blandine à Tours, Nanetta et Amina à Bordeaux, Ophélie à Toulouse, Lucia à Lyon, Olympia et Zerbinette à Paris, sans oublier ses mémorables concerts, avec Rolando Villazon à Toulouse, avec Jonas Kaufmann à Montpellier et avec Sophie Koch à Paris.
Partout, je suis resté scotché par autant de talent et de personnalité, sauf pour sa Manon de Genève qui m’avait déjà dérangé à l’époque. Je n’ai pas du tout la même conception du rôle (scéniquement et vocalement). Il est vrai que je ne peux pas ôter de mes souvenirs, Andrée Esposito, Raina Kabaivanska, Leontina Vaduva et surtout Renée Fleming à Paris dans la magnifique production de Gilbert Deflo.
Avec sa Manon donnée ces jours-ci à Toulouse, dans la mise en scène de Laurent Pelly , je suis resté une nouvelle fois assez critique sur la prestation de Natalie Dessay. Qu’elle ait chantée Manon un peu partout avec beaucoup de succès certes, mais en tant qu’admirateur de cette chanteuse et amoureux de cet opéra, je ne m’y retrouve pas.
A Toulouse, elle a davantage fait du théâtre musical que de chanter un opéra. Elle est restée Dessay et non Manon. Pour cimenter cela, Laurent Pelly a voulu en faire (à tort) une petite fille pseudo-écervellée, excitée avec un côté nunuche et capricieux. Mais le tout est si exagéré qu’il en devient vite agaçant. Il faut dire, de plus, que les costumes de la production ne lui siéent pas du tout. On ne croit pas à son personnage. Cette vision nous entraîne de ce fait à suivre le déroulé de l’ouvrage d’une manière complètement différente. C’est peut-être très intéressant mais frustrant.
Aussi, j’ai voulu comparer l’approche de ce rôle, faite par Natalie Dessay, avec celle d’une autre chanteuse qui a interprété cette Manon dans la même production de Pelly. Je veux parler d’Anna Netrebko (hélas en vidéo). Son entrée est sublime ? Elle joue une jeune fille délurée, innocente, habitée par la joie de vivre et avide de découverte. Son air d’entrée est superbe d’expression. On a envie de lui crier : ne pars pas à Paris, il va t’arriver malheur ! Son évolution sociale dans l’ouvrage est fabuleuse et nous émeut. Quelle classe son Cours la Reine, à genoux. Avec Natalie Dessay on n’y croit pas, on a envie de la laisser partir très volontiers vers son destin et attendre. Dommage !
A très vite Nat sur nos scènes lyriques (mais pas dans Manon) ! Tu nous manques déjà !
Jean-Claude Meymerit
Je n’aurais jamais imaginé qu’il eût fallu, pour comprendre le premier programme du concert de Paul Daniel, nouveau Directeur musical de l‘Orchestre national de Bordeaux Aquitaine, avoir passé une thèse en culture musicale éditée en dix volumes, ou avoir écouté en boucle tous les enregistrements des œuvres de Purcell et de Malher téléchargés d’une manière illégale sur Internet…
Très bêtement, je lis le programme du premier concert de ce nouveau Chef : «Music for the Funeral of Queen Mary» de Henry Purcell et «Symphonie n°2 en ut mineur« de Gustav Malher.
Or, comme je n’avais pas fait attention au «slogan» de Paul Daniel «Etonner et innover par plus de variété, plus de contrastes, plus de risques… », je me rends à l’Auditorium serein, heureux de passer une superbe soirée sans prise de tête. Ce « slogan » aurait dû m’interpeller car j’y adhère absolument. A condition qu’une communication suive. On ne peut pas accepter de brouiller les pistes d’un public qui n’est pas forcément averti. N’entendons-nous pas toujours dans les couloirs de l’Opéra de Bordeaux, qu’il faut sensibiliser les jeunes et attirer un nouveau public à la musique classique ? Le bousculer oui, mais en lui offrant les bases et non annoncer par micro au début du concert : »n’applaudissez pas avant la pause de la première partie… » Quelle première partie ? Après l’œuvre de Purcell ? ou au milieu de l’œuvre de Malher ? Celui-ci en effet, avait souhaité qu’il y ait une pause de quelques minutes entre deux mouvements. Autant on peut comprendre aisément la volonté de Malher en laissant le public quelques instants dans le silence, on ne comprend pas qu’il ne faille pas applaudir dans l’Auditorium avant l’entr’acte alors que tout le monde se lève, fait du bruit, va boire et fumer. L’annonce faite au micro est ridicule et apporte un peu plus de confusion à l’assemblage de ces deux œuvres. Qu’est ce que j’aurais aimé que quelqu’un vienne en avant scène et explique ce que nous allions entendre et donner d’éventuelles consignes, même stupides, comme celles de ne pas applaudir ! Heureusement que quelques personnes, qui devaient être en train de passer leurs derniers messages sur leur smartphone ou préparer en direct le repas de leur famille restée à la maison (ce fût le cas devant moi), ont applaudi. Je ne parle pas de tous ceux qui sont restés les mains jointes, hésitants comme entrant en méditation.
Marier deux oeuvres qui n’ont rien à voir entre elles, à part, comme m’a dit un de mes voisins de sièges «ce sont les funérailles qui les lient ! ») Certes, mais comme dit Cyrano «C’est un peu court jeune homme !...»
Heureusement que les 500 personnes qui ont occupé le sol de la place de la Victoire le soir de la retransmission en plein air sont plus cultivées que moi et ont compris du premier coup que la première partie du concert était composée de l’œuvre d’un musicien suivie immédiatement de la moitié de l’œuvre d’un autre musicien. Deux auteurs qui n’ont rien en commun entre eux, sinon 200 ans d’écart. A moins que ce ne soit ce chiffre de 200, le fil conducteur de la soirée, car nous avions sur scène une centaine de musiciens et une centaine de choristes.
Grandiose ! Tout était absolument magnifique, bouillonnant, puissant et délicat à la fois. Que ce soit l’Orchestre et son nouveau Chef, les artistes du Chœur de l’Opéra et ceux de l’Orfeon Pamplonés, Henriette Bonde-Hansen et bien sûr Nathalie Stutzmann…du velours, l’émotion était au rendez-vous : Henry et Gustav se mariaient !
Jean-Claude Meymerit
A la tête de la production d’un des tous premiers opéras de Mozart, Lucio Silla, les femmes sont à l’honneur au Grand Théâtre de Bordeaux.
A la mise en scène, Emmanuelle Bastet. A Bordeaux, on se souvient surtout, de son bouillonnant Cosi fan tutte dans les années 2002-2003. Son Lucio Silla créé en 2010 à Angers-Nantes est d’une précision remarquable. Dans un décor très sobre, elle nous entraîne dans un enfermement dans lequel on ne sait pas jusqu’à la scène finale qui va l’emporter, l’amour ou le pouvoir ?
Dans la fosse, à la tête de l’Orchestre national de Bordeaux-Aquitaine, Jane Glover tout en délicatesse et autorité nous enchante.
Sur scène, de jeunes chanteuses Elizabeth Zharoff dans le rôle de Giunia, Paola Gardina dans celui de Cecilio, Daphné Touchais dans celui de Celia et Eleonore Marguerre dans celui de Cinna nous transportent. Elles nous offrent, dans des registres les plus expressifs, une vingtaine d’arias et de duos les uns plus beaux que les autres. Un véritable catalogue musical. Aussi, notre héros principal mâle semble un peu perdu dans ce monde de jupons. Pour un dictateur, c’est surprenant !
Celui qui a été aussi très timide, c’est le public. Il n’y avait pas foule au balcon. J’aurais presque envie de crier à ceux qui ne sont pas venus : « Mozart n’a pas seulement écrit la Flûte enchantée et son air outrancièrement médiatisé, soyez curieux ! ». Lucio Silla est là !
Jean-Claude Meymerit
Avec le peu de moyens qu’il eut pour monter cet opéra, une production de génie est sortie de son chapeau. Où est la pauvreté annoncée ? Cet Alceste de Gluck est au contraire une production excessivement riche, fine et intelligente. Dans cet écrin noir et blanc se sont confortablement installés nos chanteurs protagonistes. Et quels chanteurs ! Sophie Koch, dans le rôle-titre, est majestueuse aussi bien vocalement que scéniquement. Avec ses sept ou huit grands passages en soliste, elle nous offre un véritable récital. On aurait volontiers bien voulu l’accompagner bien au-delà de sa mort. Sa palette de sonorités et de couleurs de voix est au rendez-vous dans le moindre détail et dans chaque syllabe de ses phrasés. Son jeu, fait de délicatesse et d’engagement, est sublime. Ses partenaires sont tous à la hauteur de cette production. Du plus petit rôle au plus grand, nous avons eu de véritables leçons de chant avec en prime la diction. Denrée assez rare de nos jours sur nos scènes lyriques et surtout théâtrales.
La production de ce Alceste de Py fait déjà office de référence. J’espère que nous continuerons à la voir à l’affiche au cours des prochaines saisons.
Dans la fosse – tout au moins au premier acte, puisque le talentueux metteur en scène à fait monter l’orchestre sur la scène pour le second acte – nous retrouvons Marc Minkowski avec son Chœur et Orchestre des Musiciens du Louvre Grenoble. On ne présente plus cet ensemble, ça bouillonne, ça caresse, ça mord.
Nous devons aussi une grande partie de la réussite de cette soirée aux artistes-dessinateurs qui, une demi-heure avant le début de l’ouvrage jusqu’à la dernière scène, s’activent depuis des échafaudages à dessiner à la craie et à effacer à grands coups d’éponge, sur l’immense tableau noir central servant de décor principal, de magnifiques croquis. Même si tout ceci accapare un peu trop notre attention, cette originalité de mise en scène est remarquable et efficace.
Avant d’entrer dans le prochain univers d’Olivier Py que sera la Dialogue des Carmélites aux Champs-Élysées, attendu avec impatience, j’ai le souvenir indélébile de deux de ses chefs d’œuvre de mise en scène : son Tristan et Isolde à Angers et tout récemment son Trouvère à Munich. Chaque fois avec lui s’opère la magie qui émeut, remue, percute et dérange à la fois.
Cet homme de grande sensibilité et de réelle générosité devrait nous offrir dans les prochaines années encore de grands moments lyriques sans oublier des surprises dans sa nouvelle fonction à la tête du Festival d’Avignon. Ce Py, quel génie !
Jean-Claude Meymerit