Comme l’a écrit Albert Lavignac en 1897, « on va à Bayreuth comme on veut, à pied, à cheval, en voiture, à bicyclette, en chemin de fer, et le vrai pèlerin devrait y aller à genoux. Mais la voie la plus pratique, au moins pour les Français, c’est le chemin de fer ».
Aussi tôt dit, aussi tôt fait, j’y vais donc cette année (ma 5ème fois en 32 ans), par chemin de fer (tout au moins en partie). Cette année pour m’y rendre, j’ai préféré utiliser pour la première fois les transports en communs (tram, train, avion, bus et …mes jambes). J’ai quand même mis 13 heures de Bordeaux à Bayreuth. Quand je vous dis que l’idée d’y aller à pied est presque réaliste ! Faire Bordeaux aéroport Charles-de-Gaulle en train, fastoche, même si je peux, en ces périodes de vacances scolaires, vous conter toutes les variantes des règles du jeu des 7 familles. Avec Air France, comme quelques conditions d’embarquement ont changé en quelques semaines, des suppléants et pénalisations interviennent au niveau des bagages. Mon pèlerinage pour Bayreuth commence bien. Arrivé sain(t) et sauf (voir mon billet sur le sujet) à l’aéroport de Munich, il faut rejoindre la gare (3/4 d’heure de trajet en train de région) puis changer de train. Manque de chance la ligne pour Bayreuth, via Nuremberg, est coupée par endroits d’où transport en bus sur un tronçon et changement de train à nouveau. Arrivé à Bayreuth (heureusement que j’ai vu la pancarte), car parti comme j’étais parti j’aurais pu continuer à faire le tour de l’Allemagne de train en train en changeant toutes les 1/2 heures. On s’y fait. J’avais pris le rythme. Vivement un lit et dormir.
Hélas c’était trop demander. Il faut passer l’épreuve de l’arrivée à l’hôtel (?). En vérité c’est un restaurant qui loue des pièces très chères (sans salle de bains, pas de lavabo, pas de chaise, pas de lampe et de table de chevet, pas de rideau aux fenêtres, une chaleur à crever et petits déjeuners en sup). Quoi faire, répartir ? Ah non ! Avoir attendu 8 ans pour avoir une place au Festspielhaus. Ce ne sont pas des conditions matérielles qui allaient m’abattre. Demain on verra mieux. Je vais dormir ou tout au moins essayer car un remue ménage impressionnant de claquements de portes commença (salle de bains et toilettes communes obligent). Infernal ! Le lendemain matin en m’adressant directement aux femmes de chambres mon confort s’est amélioré. J‘avais une chaise, une lampe et une rallonge traversant la pièce. Je pouvais enfin préparer mon ascension à la Colline verte.
En effet, les 3kms à faire à pied, me séparant du temple de Wagner, furent la dernière épreuve de ce pèlerinage
Ma seconde nuit fut plus paisible car Wagner était passé par là avec son prologue, Das Reingold. Entre le ballet du bruit des portes et les cris de désespoir des filles du Rhin encore présents dans mes oreilles pleurant leur trésor, le sommeil a fini par me gagner. La suite de mon séjour fut à tout point de vue, un enchantement. Le Ring du bicentenaire de la naissance de Wagner.
J’en ai vu des mises en scène du Ring complet où par œuvres séparées. Que ce soit celle de Peter Hall à Bayreuth, de Patrice Caurier et Moshe Leiser à Bilbao, de Götz Friedrich à Berlin, de La Fura dels Baus à Valence, de Bob Wilson à Paris, de Robert Carsen à Cologne, de Nicolas Joël à Toulouse, de Günter Krämer à Paris, de Guy Cassers à Berlin, de Vera Nemirova à Frankfort, d’Andréas Kriegenburg à Munich, sans compter Nantes, Vienne, Marseille, Nice…celle de Frank Castorf pour le bicentenaire à Bayreuth a battu tous les records d’impact sur le public. Celui-ci s’est déchaîné, jamais je n’ai entendu dans un théâtre autant de réactions, de huées et de bravos… Il est vrai que nos yeux ont eu du mal à voir et accepter certaines scènes. Quant à la compréhension des parallèles et des transpositions de l’histoire imposées par le metteur en scène, elle a failli me provoquer une hémorragie cérébrale.
De plus dans sa mise en scène, Castorf joue sur tous les tableaux. Je ne suis pas sûr qu’il y soit arrivé entièrement. Autant les décors et la scénographie globale est grandiose et prodigieuse, la direction d’acteurs (au sens propre du terme) n’est pas toujours réussit. Pour un homme de théâtre c’est gênant. Il est très loin des précisions de jeu d’acteurs de nos metteurs en scène français (Py, Pelly, Carsen et le magicien Chéreau). Chez certains chanteurs un peu empotés ça se voit.
On ne reconnaît plus du tout la mythologie germanique initiale. Tout ce qui est lié avec les éléments de la nature devient produits de consommation et de profits.Je ne vais pas détailler toutes les scènes qui demanderaient des pages et des pages d’explications. L’idée de départ est remarquable. Avoir changé l’or jaune sonnant et trébuchant en or noir présent dans tout notre environnement et notre quotidien de consommation est très pertinent. Et ceci que l’on soit dans un monde capitaliste ou communiste.
Sur scène nous voyageons, grâce à un immense plateau tournant, d’un môtel-station service douteux au bord d’une autoroute, servant également de maison de plaisirs pour l’Or du Rhin, à un premier puit pétrolier du 19°en Russie pour la Walkyrie, en passant par une falaise de façonnage d’immenses têtes de Mao, Staline, Marx et Lenine pour Siegfried, par Berlin avec sa célèbre Alexanderplatz et ses quartiers pauvres et mafieux du côté est du mur et pour finir avec la façade du Wall Sreet de New-York…pour le Crépuscule des Dieux. Tous ces gigantesques tableaux sont remarquables de force et de beauté. Dans cette mise en scène beaucoup de sexe (Wotan avec Freia et avec Erda, Siegfried avec l’Oiseau…) et de violence (des litres de sang sur les visages, les mains, les murs…), le tout bien sûr fortement lié à l’argent.
L’énervement du public vient surtout de l’exagération dans le foisonnement de matériels, objets, situations, projections de films, jeu de scènes en parallèles de chanteurs, etc…C’est étouffant, on ne suit plus l’histoire. On regarde les scènes se dérouler et on essaie d’écouter car tout ce remue ménage arrive à parasiter l’écoute du chant. C’est vraiment handicapant. Même si la présence d’un cameraman aux vues de tout le monde, caméra sur l’épaule, se déplaçant pour nous montrer sur grand écran ce qui se passe dans la chambre, dans le bar, dans la roulotte etc…est d’un effet très original et percutant, ça parasite également. Ainsi pour exemple, lorsque Sieglinde et Siegmund se reconnaissent et chantent leur magnifique duo, on voit sur écran le sommeil forcé de Hunding. Lorsqu’une scène se passe devant la caravane, on voit en parallèle se qui se passe à l’intérieur, etc….
A la fin de Siegfried on peut comprendre la colère unanime du public à la fin de l’ouvrage. A la fin du duo du réveil de Brünnehilde dans les bras de Siegfried, on a l’esprit et le regard détournés par la scène la plus grotesque de ce Ring. Arrivent deux immenses alligators qui commencent par s’accoupler puis pendant que Siegfried donne des cacahuètes au mâle, la femelle avale la jeune fille jouant l’Oiseau. Lorsque Siegfried s’en rend compte il tire l’Oiseau de la gueule et la libère. Cela n’apporte absolument rien, c’est de la provocation gratuite. Ce même Oiseau qui dans certaines autres mises en scène n’apparaît pas, ici le rôle devient important allant jusqu’à un rapport sexuel avec Siegfried sous l’horloge de l’Alexanderplatz de Berlin. Le public a ri.
Côté chanteurs – comme très souvent à Bayreuth – ce n’est pas toujours le top des top, mais les voix sont homogènes. Pas de grandes révélations. Par contre, un enchantement avec la direction d’orchestre de Kirill Petrenko. Absolument envoûtant. Cette fosse d’orchestre et l’acoustique de cette salle, quelle magie ! Bayreuth c’est aussi ça…et ça se mérite !
Jean-Claude Meymerit
Prendre l’avion engendre toujours un peu d’appréhension. Même pour tous ceux qui embarquent, s’installent et prennent leurs aises comme chez eux dans leur canapé. Le moment du décollage est toujours un peu stressant. Chacun sa méthode de vaincre sa peur. Il a ceux qui s’enfoncent bien droit dans leur siège et qui attendent. Il y a ceux qui ferment les yeux. Il y a ceux qui s’intéressent subitement à l’avenir économique de la planète en se précipitant sur les journaux spécialisés en la matière, distribués gracieusement. Et bien sûr dans tout ce panel de techniques, il y a la prière. Ma voisine de siège, dès que le commandant de bord annonce le décollage, fait deux signes de croix (peut être qu’un seul n’est pas suffisant !). Ouf, le décollage est réussi !
Alors que vol se déroule normalement, le commandant nous apporte quelques informations (géographique, températures etc…et altitude). Mot malheureux. Lorsqu’il nous signale que nous sommes au plus haut (10 000 m), ma voisine se précipite sur son sac, fouille le contenu avec ardeur en envahissant légèrement mon espace vital. Tout ce remue ménage afin de sortir un chapelet. Elle se signe à nouveau à plusieurs fois et se met à réciter ses prières d’une manière audible pour son voisin. Là, il était évident que nos jours étaient comptés. Croyant ou pas croyant, ce genre de comportement te fout les chocottes. Heureusement qu’une diversion de l’hôtesse avec ses boissons coupe net ma brave voisine dans ses prières. Je m’attendais au pire pour l’atterrissage. Elle n’allait tout de même pas nous faire chanter tous en chœur le Alléluia ! Non, calme plat. À l’arrêt de l’appareil elle range son chapelet qu´elle avait toujours gardé en main et nous descendons…sain(t)s et saufs.
Quelle hypocrisie ! Je viens de prendre le train entre Marseille et Bordeaux avec pas plus d’appréhension qu’entre Toctoucau ville et Toctoucau plage (à vérifier !), et pourtant !
Entre Nîmes, Montpellier, Béziers, Narbonne, les choses se compliquent. Alors que l’ambiance est paisible, deux jeunes filles viennent s’adresser à moi pour signer une feuille (nom, adresse etc…) afin de réunir des fonds pour une structure d’handicapés. Elles-mêmes ont un handicap, elles sont muettes. En vérité, elles ne sont muettes que lorsqu’elles s’adressent aux voyageurs car entre elles, elles tchatchent normalement.
Cette feuille d’émargement et de promesse de versement d’argent, contient déjà plusieurs signatures. Je leur demande leur carte d’autorisation de démarcher dans le train, même si leur feuille porte la signature de faux (logo et siège social illisibles, tâches de gras, feuille légèrement froissée et écornée), leur réponse (plutôt leur non réponse, n’oublions pas qu’elles sont muettes) est limpide. Je les ai envoyées promener. Elles ont eu davantage de «chance» avec mes voisins de voyage. Et ça signe et ça signe !… Je suis scotché par autant de naïveté et d’insouciance.
Lorsqu’elles ces deux damoiselles ont quitté le wagon, un de mes voisins senior et signataire, s’adresse à moi et me dit : « je ne sais pas si j’ai bien fait de signer, elles sont bizarres ! ». Je le regarde droit dans les yeux et lui dit « vous savez, lorsque les gens seront toujours aussi cons de signer sans regarder et sans se poser les bonnes questions, il ne faut pas qu’après, ils se plaignent ! » Pas élégant comme réponse c’est vrai mais terriblement efficace. Comme un électrochoc, il bondit de son siège affolé, et court à la poursuite de nos deux fausses muettes. Il revient bredouille, abattu, vidé…il s’est fait avoir. Elles étaient descendues. Il avait donné son nom, son adresse et sa promesse de don.
Passent les contrôleurs que j’interpelle pour en savoir un peu plus. Leur réponse m’a cloué : « ce n’est pas la première fois, c’est classique, il s’agit de personnes qui montent dans les gares Languedoc Roussillon, font signer des faux documents tout en essayant de récolter de l’argent » et ils rajoutent : « des fois elles volent les sacs et objets posés sur les tablettes pendant que les passagers dorment ». Paraît-il que cela dure depuis des années et tous les jours.
Pas d’amende en tant que voyageur sans billet, pas d’expulsion, on laisse faire. A ma question : « pourquoi vous n’avertissez pas les voyageurs, comme dans certains lieux publics, par une phrase, style : des risques de pickpocket peuvent intervenir, prenez soins de vos bagages et objets personnels etc.. », leur réponse fut « on n’a pas le droit de faire des annonces sur ce fléau, la SNCF ne veut pas ! ».
Alors je pose la question : pourquoi ? Du coup, ce sont eux qui sont restés muets !
Il y a des expositions de peintures qui vous laissent pantois dès que l’on franchit le seuil de la galerie, il y en d’autres qui vous invitent plutôt à faire demi tour. C’est ce qui m’est arrivé ces jours-ci en me rendant à la cour Mably voir une présentation des oeuvres de Nicole Kirsch. Ce n’est pas du tout la qualité artistique et les sujets présentés de cette artiste qui me laissent froids mais plutôt la scénographie totale de l’expo. Que c’est laid !
Pourquoi avoir peint les panneaux de fond en jaune alors que les oeuvres elles-mêmes sont très colorées. Ce fond jaune absorbe toute la lumière des toiles et assombrit la pièce. Les éclairages sont très mauvais, certains tableaux sont presque dans l’obscurité. Aucune unité dans l’assemblage des toiles qui sont dans des formats et des encadrements les plus fantaisistes. Ne voulant pas rester sur une mauvaise impression, j’y suis revenu plusieurs fois et chaque fois le même sentiment. Je ne suis pas le seul, car lorsque je me suis mis à observer les visiteurs, leur tour de salle est aussi rapide qu’un marathon dans une salle de gym.
Comme se fait-il que la Ville de Bordeaux n’ait pas pu choisir une exposition estivale plus flatteuse pour une ville en plein flot touristique. Si Bordeaux avait voulu mettre l’accent sur des artistes bordelais, il aurait fallu un peu mieux les valoriser. Ce n’est pas une bonne image du dynamisme et de modernité culturelle locale. Heureusement que Jaume Plensa est passé par là en nous magnifiant artistiquement la Ville.
Nota : Miracle ! Je viens d’apprendre qu’il y a une exposition de sculptures à la Halle des Chartrons. Juste le temps de récupérer un peu de doc au kiosque culture et me voilà parti ! Les portes de la halle sont grandes ouvertes, de la musique classique s’en échappe comme pour vous inviter à y entrer. Là sur le seuil, le miracle opère. Les sculptures sont simplement disposées sur des podiums bruts, un peu partout. Pas de sophistication. C’est simple et super efficace. Elles vous proposent même d’être touchées et caressées. Elles sont en bois de chêne, de robinier, d’acacia, de pin, de platane…Le plaisir ne serait pas complet sans la présence de l’artiste. Chic, il est là ! Il se nomme Balma. Artiste connu et très apprécié, fait sa rentrée bordelaise après trois ans d’absence. Les œuvres ne sont pas que de lui, elles sont : lui. Il parle de chacune d’elles comme un romancier parle de son œuvre littéraire ou comme un amoureux de sa bien-aimée. C’est du grand Balma.