La honte ! Que de toux que de toux ! Jamais je n’ai entendu autant de cacophonie de toux que lors de cette soirée passée à la Comédie française. C’est vrai que la saison aidant, les microbes bien au chaud dans la nouvelle parure du Théâtre français voulaient se faire entendre en prouvant que la nouvelle acoustique du théâtre était au top et qu’ils étaient plus vigoureux que les vers.
Malheureusement, avec Andromaque en toile de fond, les toux intempestives se faisaient beaucoup plus remarquer que les répliques de Racine. Le pire fut à chaque précipité de rideau : la salle en chœur se mit à tousser dans un bruit infernal de bravos, de rire et de toux. L’horreur !
En règle générale, lorsqu’on repère des tousseurs dans les salles de spectacles, on peut établir plusieurs catégories : il y a le tousseur chronique qui chaque fois qu’il est dans une salle, se doit de tousser. Il y le tousseur jaloux qui veut faire mieux que son voisin. Il y a le tousseur tubar d’un âge avancé, qui offre avec bruitage en prime à ses microbes, des pastilles bien enveloppées qu’il cherche au fond de sa poche ou sacoche. Lorsqu’il est accompagné de madame, le temps qu’elle cherche dans son sac, dans quelle boite ou dans quel papier ces fameuses pastilles contre la toux sont planquées, un acte s’est écoulé. Il y a la tousseur cabo qui attend le bon moment pour nous balancer quelques belles notes sonores. Je ne parle pas par contre du discret, le vrai tousseur, le vrai malade, qui essaie de retenir sa toux dans son foulard son écharpe, son mouchoir, sa main afin d’étouffer le son. Parait-il que c’est l’émotion qui provoque la toux, surtout à l’opéra. A approfondir. Ainsi, voilà comment j’ai passé deux heures avec Racine dans une cacophonie intolérable et irrespectueuse pour les comédiens et le public.
La prochaine fois, je vous parlerai d’un autre fléau dans les salles de spectacles que sont les concerts de bouteilles d’eau en plastique. Bouteilles que l’on torture et que l’on écrase entre ses doigts, bouteilles qui roulent, bouteilles que l’on cherche désespérément dans ses vêtements et sacs, bouteilles que l’on renverse etc.. Pourquoi les directeurs de théâtre n’interdisent-ils pas l’entrée de toutes ces bouteilles plastiques.
En 2009, j’avais écrit à l’occasion de la splendide reprise de cet opéra à la Halle aux grains de Toulouse, dans la mise en scène de Nicolas Joël, que cet opéra était l’opéra de la force : force du sujet, force de la musique, force de la scénographie, force des carmélites. A Bordeaux, c’est l’opéra de l’élégance, de la classe, de la féminité grâce au talent de Mireille Delunsch et à sa précision de mise en scène jusque dans les moindres détails. Comment ne pas oublier ces rampes mobiles de dizaines de cierges, symboles du carmel ou servant de barrières avec les civils etc…Comment ne pas être bouleversé par ces petites flammes s’éteignant les unes après les autres comme éteintes par le vent produit à chaque couperet. Sans oublier, le revirement de situation sociale du domestique du Marquis de la Force qui prend la place de ce dernier à la Révolution. Subtile lecture. Par contre, je ne suis pas convaincu par quelques détails historiques comme laisser la jupe au faux-cul sous le costume religieux de Blanche ou par les acrobaties de la vieille prieure à l’agonie montant sur sa « table/lit de mort » comme un cabri…
Même si l’histoire de ce Dialogue des Carmélites est bien connue de tous, elle éveille en chacun de nous de grands moments émotionnels. Cette profonde attention est due en grande partie à la musique de Francis Poulenc. Quelle force dans ce torrent de notes où la mélodie et le modernisme s’accordent dans l’absolu ! L’apothéose, en écoutant le choeur final, lorsque les carmélites, chantant à l’unisson, s’interrompent les unes après les autres sous le poids de la guillotine. Une splendeur dans l’écriture lyrique. Quel dommage que Georges Bernanos n’ait pu connaître sa pièce portée sur les scènes d’opéras ! En effet, les créations eurent lieu en présence de Poulenc en 1957 à Milan et à Paris, cinq ans après sa mort.
A Bordeaux, mon coup de foudre a été, d’une part pour la sublime Géraldine Chauvet (Mère Marie). Quelle classe ! Voix puissante et beauté du timbre, émotion dans le jeu, et d’autre part par Sylvie Brunet (La Prieure), voix de velours et fruitée reconnaissable dès les premières notes. Quel dommage de ne pas voir et entendre cette immense artiste plus souvent sur les scènes lyriques. Rien à dire sur tous les rôles masculins avec une préférence toutefois pour l’aumonier, Eric Huchet. Par contre, je n’ai pas trouvé dans la direction musicale de l’orchestre cette envoûtante émotion tant attendue. Pourquoi ? Aurai-je été trop absorbé par la très théâtrale et intelligente mise en scène ? Avec Mireille Delunsch et ses carmélites, la séduction féminine a opéré !
Jean-Claude Meymerit