L’action se passe une fin d’après-midi dans une rame de tram bondée. Les gens tassés et entassés à en vomir par les odeurs nauséabondes voguant entre les faibles interstices (normalement) laissés entre les corps. A un arrêt, un monsieur d’une cinquantaine d’année se lève brusquement (car lui était assis) et tend par dessus les têtes son titre de transports, sans dire un mot, à une jeune homme qui essayé de se dégager aux forceps de l’allée centrale pour descendre rapidement.
Le jeune homme prend le ticket sans réfléchir et réussit à descendre. Voyant celui-ci quitter le tramway avec son ticket, notre homme bouscule tout le monde et dit : « mais il part avec mon ticket, j’avais encore neuf voyages ». Il ne criait pas, il était presque aphone, suffoqué par ce qu’il venait de lui arriver et n’arrêtait pas répéter « mais il part avec mon ticket !, mais il part avec mon ticket !, mais il part avec mon ticket !… ». Il réussit à quitter la rame et nous dit « je vais le rattraper ! », « je vais le rattraper ! »…
Je me mets à la place du jeune homme : quelqu’un me tend un ticket par dessus les têtes des autres voyageurs lorsque je suis préoccupé à me frayer péniblement un passage pour descendre, est-ce que je pense que c’est pour le composter et le remettre ensuite au propriétaire ? Bien sûr que non ! D’ailleurs comment faire pour lui redonner dans la bousculade ? La société Kéolis doit être ravie, un passager honnête et consciencieux que rien n’arrête… mais qui a perdu, probablement, une dizaine d’euros.
La première partie du spectacle de ballet nous donne déjà l’esprit de la soirée, classe et bonheur : sur scène, sept couples de danseurs portés par le Concerto n°1 pour piano et orchestre de Chopin enregistré par Martha Argerich et l’Orchestre Symphonique de Montréal sous la direction de Charles Dutoit. Sous nos yeux, pureté, beauté et performance chez tous les danseurs.
En seconde partie, Carl Orff en partenaire musical. Quoi rêver de mieux ? Toute la compagnie de ballet de l’Opéra de Bordeaux (à une ou deux exceptions près) est présente sur scène. La troupe rayonne. Les danseuses et danseurs sourient car heureux de danser sur cette chorégraphie de Maurizio Wainrot (rappelons-nous du Messie). Ils explosent. Les danseurs du corps de ballet, les solistes et les étoiles sont tous mélangés, tous sur le même piédestal. C’est généreux, beau et émouvant. Pas de critique particulière sur telle ou telle facette technique de ces deux ballets car ce soir la danse est au rendez-vous avec un grand D. Ensembles, gestes, corps, visages… tout danse.
Ce que j’ai vu et entendu ce soir est vraiment digne d’une scène nationale (pas comme une certaine et récente Butterfly !). Dans la fosse d’orchestre, cette cantate scénique composée par Carl Orff est la version réalisée pour petite formation (deux pianos, timbales et percussions). Elle est dirigée par Pieter-Jelle de Boer avec précision et beaucoup d’application (un peu trop à mon goût).
Les choeurs de l’Opéra de Bordeaux, toujours au zénith de leur art (même si là aussi j’aurais aimé un peu de plus d’envolée et de brillance). Quand aux solistes, mon admiration va surtout à Mickaël Mardayer, contre-ténor. Quelle leçon de chant ! Le tout accompagné de nuances et couleurs remarquables. Son morceau nous a semblait vraiment trop court. Florian Sempey, baryton, a beaucoup de présence et son chant est puissant et bien timbré. Par contre, je n’ai pas du tout apprécié la voix de la soprano Sophie Desmars. Voix assez faible et aigrelette, style cocotte des années 50. C’est vraiment dommage, car la longue tenue de la note finale de son premier morceau est une performance.
Pour terminer il faut saluer à nouveau le chorégraphe Maurizio Wainrot, qui par la richesse de son travail, mis en oeuvre par les répétiteurs Andréa Chinetti et Miguel Angel Ellias, a offert aux danseurs du Ballet de Bordeaux, habitués aux classiques, un magnifique cadeau de danse contemporaine.
Jean-Claude Meymerit
Soirée inaugurale, éventée pendant la nuit ! :
En quittant, ce vendredi soir, les lieux de la place de la Comédie où avait lieu le lancement de la deuxième édition d’Evento, je suis parti sur une impression assez agréable de cette soirée que j’ai même trouvé très bon enfant et familiale, puis après une nuit des plus calme, au réveil, le côté bon enfant de la veille a un gout fadasse et sans saveur. Qu’est ce que j’ai vu et entendu ? : le lancement d’une manifestation artistique contemporaine en grande pompe sur cascade d’euros. Parmi le public et non la foule, des avertis silencieux et immobiles, des pseudos cultureux qui s’extasient à chaque hurlement de notre animateur italien du soir et à chaque mot projeté sur la façade du Grand Hôtel. Et bien sûr aussi de très nombreux non avertis qui, un peu perdus, essaient de raccrocher tous les morceaux.
Dans quelle catégorie je me situe je n’en sais rien, en tout cas, je n’ai pas tout compris, j’ai aimé et j’ai détesté à la fois. Planté dans la foule, j’ai passé cette soirée d’une heure et demi à tourner sur moi même comme une toupie ou tourner la tête au maximum de mes possibilités cervicales afin d’essayer de capter le maximum d’événements qui se passaient sur les façades de la place, sur le marches du Grand Théâtre et sur la mini scène centrale. Tout ceci a un côté amusant et distrayant et on se laisse très vite prendre au jeu.
Or, où tout cela se complique lorsque notre animateur italien, célèbre metteur en scène, acteur et cinéaste, une des figures les plus importantes de la scène théâtrale contemporaine, Pippo Delbono apparaît sur la petite scène centrale de la place et commence à s’époumoner au micro par des discours et textes en français et en italien. De toute façon peu importe la langue car comme on ne comprend rien du tout. La très sophistiquée technique avait trop forcée sur la saturation du son (mode de plus en plus répandue pour être label contemporain). En parallèle sur la façade du Grand Hôtel s’affichent des phrases clés en traduction ou en complément des textes lus par Delbono (?).
Je retiens de cette soirée quelques moments forts comme cette simulation d’incendie de l’hôtel avec sa trentaine d’invités installés au balcon central tout en buvant du vin rouge. Magnifique visuel. Autre moment fort, est le plaisir de découvrir et d’entendre la formation musicale dirigée par le compositeur lui-même, Alexander Balanescu, dans de magnifiques pages. La cerise sur le gâteau est sans hésiter la présence des artistes du choeur de l’Opéra interprétant quelques morceaux de cet auteur. Moments de pur bonheur musical.
Parmi tout ce pot pourri artistique inaugural, qu’est ce que j’ai retenu ? :
- un déballage et étalage de matériel sonore et lumière (avec blocage pendant 3 soirs du tram, difficultés de traverser la place mise dans le noir ces trois soirs). Répétitions obligent.
- un monsieur de notoriété internationale lisant ses textes sur des feuilles volantes au lieu de les avoir appris par coeur.
- mauvaise synchronisation entre tout ce petit monde dans le déroulé de la soirée.
- démagogie en faisant monter sur scène, à la fin, un musicien de rue bien connu à Bordeaux les soirs d’été aux terrasses des restaurants. Très beau geste de monsieur Pippo Debono. Les artistes bordelais étaient ainsi représentés.
- projections ordinaires sur les façades, n’arrivant pas à la cheville des magnifiques fresques projetées place de la Bourse au moment des Fêtes du vin et du fleuve.
- présence de Bobo, l’acteur fétiche de Delbomo, présenté comme une bête curieuse.
- heureusement, partie musicale par l’orchestre de Balanescu et chantée par le Choeur de l’Opéra, passionnantes.
En clair, beaucoup de bruit pour presque rien. Qu’en pensez-vous Messieurs Frédéric Mitterrand et Alain Juppé, ministres présents ce soir là ?
Danse avec « Sortie de la caverne, l’école du rythme » de Claudia Castellucci :
Vent de fraîcheur sur la scène du Grand Théâtre de Bordeaux pour ce ballet final suite à un mois de travail avec une douzaine de danseurs amateurs bordelais. Quel magnifique travail ! Même si le trac se sent sur certaines épaules, la volonté et la précision du geste
sont bien là. Cette douzaine de filles et garçons d’une vingtaine d’années nous offrent le sens de leur rythme personnel tout en restant et en respectant le collectif. La chorégraphie de Claudia Castellucci est limpide, surprenante et parlante. Les musiques choisies offrent une palette d’embryons rythmiques variés des plus passionnants. Beau tableau lorsque disparaissent, comme par magie, dans le noir du fond de scène, les danseurs regroupés comme absorbés par le mystère de ce fond de caverne. A quand d’autres soirées de ce style ?