Dès que cet immense baryton était affiché au Grand Théâtre de Bordeaux c’était la ruée. Mais pas n’importe quelle ruée. Pas de ces ruées que l’on voit actuellement à force d’entendre rabâcher sur les ondes et les antennes des noms et des spectacles et qui se précipitent sans savoir qu’elle est la carrière de tel ou tel artiste. Avec la venue d’un Blanc (ou d’un Vanzo, d’un Bacquier, d’une Eda Pierre, d’une Guiot…), le public connaissait déjà tout du répertoire des chanteurs programmés, leur voix, leur carrière et ce public venait les écouter chanter. Maintenant on voit de la lumière, un bureau de location noir de monde et la ruée se forme comme si les gens venaient chercher une part de ravitaillement en période de restriction. Le public vient maintenant voir un spectacle et non écouter des voix ou voir des danseurs. Peu importe qui chante, qui dirige, qui danse, le principal c’est : « On m’a dit que c’était joli ! » Avec ça !
Ernest Blanc était cet homme qui dès son apparition sur scène nous glaçait par sa grande prestance due à sa stature tout en nous subjuguant par cette extraordinaire et rare voix. Il faut l’avoir vu et entendu dans son célèbre Rigoletto, dans l’Escamillo de Carmen (en voilà un qui savait être et chanter Escamillo), Amfortas de Parsifal, Ourrias de Mireille, Renato du Bal Masqué, Gérard d’André Chénier, Valentin de Faust, le Hollandais, Wolfram de Tannhauser, le Comte de Luna du Trouvère…Tout en chantant à Bordeaux ces rôles là, il était affiché au Met de New York, à Londres, à Milan, à Salzbourg… et bien sûr à Bayreuth. Rare français à avoir chanté sur la colline verte.
Il vivait en Provence puis en région bordelaise pour y vivre paisiblement et laissait écouler le temps, en famille. Son fils Jacques Blanc, chef des choeurs au Grand Théâtre de Bordeaux, me donnait régulièrement de ses nouvelles. Je n’ai jamais osé lui demander de rencontrer son père. Qu’est-ce que je lui aurais dit ? Que j’étais un de ses profonds et fidels admirateurs. Que je l’avais vu dans de très nombreux rôles. Qu’il me raconte des souvenirs de son séjour à Bayreuth ? Que de banalités ! Le souvenir de ses prestations doit rester le plus fort.
Aussi, j’écoute de temps en temps ses enregistrements (son récital en particulier) et je revois cette époque bénie où les grands étaient grands et aidaient surtout les petits à devenir grands. Merci Ernest Blanc pour ces fabuleux grands moments lyriques. Il a fait définitivement ses adieux à la scène en 87 et nous quitte, ce 22 décembre, à 87 ans. Chiffre fatal !
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